Mathématiques et philosophie en seconde : qu’est-ce qu’un nombre ?

vendredi 5 septembre 2014
par  Bruno MORIN , Stéphane GOMBAUD

Compte rendu d’une expérience d’initiation à la philosophie en classe de seconde en lien avec les mathématiques, autour du thème « Qu’est-ce qu’un nombre ? ».

Philosophie

Des nombres à la philosophie

Présentation

Notre atelier de l’IREM, conjuguant les deux disciplines des mathématiques et de la philosophie, a pour partie pratique, au lycée Leconte-de-Lisle, une intervention ciblée d’un professeur de philosophie en classe de seconde.

Cette année nous avons choisi le thème « Qu’est-ce qu’un nombre ? ». Devant les élèves, il s’agit d’inciter à un questionnement, à une réflexion portant sur ce qui semble simple, car habituel voire coutumier, pour remettre en cause des idées naïves sur le sens de ce qui est fait en classe. Nous poursuivons globalement trois buts :

  • Introduire du vocabulaire technique (définition nominale/réelle ; extension/ compréhension d’un concept ; a priori/ a posteriori ; continu/discret), enrichir la langue pour évoquer la nature particulière des objets mathématiques et insister sur le fait que les mathématiques, en tant que science formelle, forment une discipline atypique, dégageant non des lois du réel mais étudiant, en lien avec la logique formelle, la nature de relations pouvant exister entre des choses, des individus ou des groupes d’individus.
    –-* Parler des mathématiques comme d’une science ayant une dimension historique, ayant des auteurs, des créateurs, science ayant mis du temps à se construire et continuant à se construire.
  • Il s’agit de s’opposer à l’image simpliste des mathématiques comme matière scolaire aux mains des professeurs, en tant que telle indiscutable et indiscutée de fait.
  • Inciter à la réflexivité en rappelant que pour des mathématiciens comme des philosophes la question du fondement a été essentielle... ou celle de la valeur. Dans le cas des nombres la question de l’existence reste posée.

La question « Qu’est-ce qu’un nombre ? » se prête bien à ces trois objectifs. Avant de voir comment nous avons procéder avec les élèves, chacun de notre côté puis collégialement, voici un développement épistémologique rapide recoupant en partie les trois points qui viennent d’être évoqués.

D’abord, il ne manque pas de définitions du nombre. Chaque époque en produisant d’abondance. Ajoutons que le sens de la question « Qu’est-ce que... ? » ne se réduit pas à la production d’une définition ! Un consensus prévaut aujourd’hui chez les lexicographes, faiseurs de dictionnaires : le nombre du mathématicien n’est pas un objet qui puisse se définir ! Et sur le Net une rapide recherche démontre que pour celui qui pose la question « Qu’est-ce qu’un nombre ? » c’est l’occasion de bien vite bifurquer vers d’autres questions auxquelles il y a ou il y aurait une réponse possible : « Qu’est-ce qu’un nombre naturel, décimal, rationnel etc. ». Et si l’on ouvre d’autres sommes de connaissance, comme l’Encyclopédie, « Qu’est-ce qu’un nombre entier, fractionnaire, commensurable, sourd, pair, impair, premier, carré, triangulaire, homogène etc.? ».

À défaut de définir en compréhension le nombre d’une manière satisfaisante ou unanime, on préfère la stratégie du catalogue, de la définition seulement en extension, « Que peut-on mettre sous la dénomination de nombre ? ». C’est le formidable « bestiaire » ou « zoo » des nombres qui devient le centre d’intérêt du curieux, l’objet de la recherche arithmologique. On passe du simple au complexe, du familier à l’étrange, du compris à l’incompréhensible, de l’utile au carrément inutile.

Ensuite tout le monde croit savoir ce que c’est que le nombre... mais peu de questions font l’objet de davantage de méprises. Il y a la tendance naturelle (qui n’est pas à condamner mais à constater) qui consiste à réduire la signification de la question à celle-ci « Qu’est-ce qu’un nombre entier ? ». Les philosophes sont coutumiers du fait... comme si celui qui savait définir l’entier avait tout compris au nombre, comme s’il pouvait passer au nombre en soi, à l’idée la plus générale qu’on puisse avoir du nombre, dans la seule foulée de cet effort qu’il aurait fourni pour définir l’entier (en commençant avec 1 et pas 0 !). Maintenant, pour rebondir sur l’extension de l’ensemble des types ou espèce de nombres, une question comme « 3/3 est-ce un nombre ? » donne des réponses divergentes de la part du public. La réponse « non » est souvent justifiée par l’idée qu’il s’agit non pas d’un nombre mais d’une opération sur deux nombres. Ce qui se dévoile alors est la fragilité de la compréhension de la logique propre du symbolisme mathématique, partant du sens de l’égalité en mathématiques.

Dans l’histoire des idées, au fur et à mesure que la mathématicien enrichissait son bestiaire d’espèces nouvelles un tri a pourtant été fait. Quelques espèces mutantes ou déviantes comme le nombre infinitésimal ont disparu. Bien d’autres ont été reconnues, à force de discours rationnels et de justifications pragmatiques. Des philosophes à l’instar de l’évêque Berkeley ont eu des idées très arrêtées sur les mathématiques de leur époque, condamnant au nom de la rigueur, voire de la Raison, des innovations de mathématiciens audacieux, comme Newton. Et on trouve encore dans des textes de métaphysique du début du XIXe siècle, chez les idéologues comme Maine de Biran, des refus de considérer le nombre –1 comme un nombre car il ne s’agirait que d’une opération non pas d’une réalité objective. L’histoire des idées, c’est donc aussi l’occasion d’évoquer quelques belles inventions comme 0, Pi, √2, i.

Enfin, celui qui manipule des nombres, opère sur eux des calculs, confronte ses résultats à la réalité matérielle, est sans doute en droit de poser la question de l’existence, de la réalité du nombre indépendamment de l’esprit qui le conçoit ou du système de numération qui le rend manipulable. Les nombres existent-ils ? Pré-existent-ils à leurs inventeurs ? Que sont-ils s’ils le peuvent ou s’ils ne le peuvent pas ? La question demeure ouverte. Un mathématicien comme Alain Connes tient par exemple fermement à l’idée d’une réalité indépendante des objets mathématiques, non pas tout à fait platonicienne mais bien sous le signe d’une certaine éternité. Un philosophe contemporain comme Karl Popper a de son côté construit une théorie des mondes compatible avec une réalité indépendante des nombres. D’après lui il existe un monde, le « monde 3 » pensé par opposition à un premier monde, le « monde 1 » des choses matérielles et un second, le « monde 2 » des états de conscience. On peut y ranger des êtres ni matériels et solides ni mentaux et intangibles mais logiques, universels, comme les nombres ou bien, de manière plus générale, les idées, les règles d’inférence et théories qui leur servent de fondement.

Intervention - part. 1
Intervention - part. 2

Mathématiques

Cet atelier (partie mathématique) s’est déroulé en dehors du cours de mathématiques en classe entière sur une durée de 12 heures (1 heure hebdomadaire). Il avait pour but de souligner différents points abordés, en parallèle, en cours de philosophie où les élèves ont pu recevoir une initiation à la philosophie autour du thème : « Qu’est-ce qu’un nombre ? ».

Effectif de la classe : 35 élèves. Niveau : assez bon dans l’ensemble.

Objectifs :
– Faire prendre conscience aux élèves : qu’un nombre possède une infinité de représentants, que manipuler un nombre revient à manipuler un de ses représentants.
– Montrer aux élèves la diversité des nombres au travers de quelques exemples.
– Et surtout susciter leur curiosité.

Mathématiques


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