La préhistoire des mathématiques

dimanche 2 septembre 2001
par  Olivier KELLER

Trois articles issus des conférences données par Olivier Keller à l’IREM de la Réunion en août 2001.

La géométrie des Sulbasutras. Exemples de géométrie rituelle de l’Inde védique : l’agrandissement de l’autel en forme de faucon

La géométrie des Sulbasutras

Les Sulbasutras sont une section des sutras - prescriptions rituelles sous forme d’aphorismes - consacrée aux règles de construction d’autels sacrificiels. Nous disposons de quatre textes complets, traduits en anglais par Sen et Bag, avec le nom de leurs auteurs : Baudhayana, Manava, Apastamba, Katyayana. Ce sont des textes remarquablement courts puisqu’à eux quatre, dans leur traduction anglaise, ils n’occupent que soixante-six pages. Sulba signifie « corde » et les sulbakas, experts géomètres védiques, étaient de remarquables « tendeurs de cordes »

Nous présentons ici quelques sutras, dans leur concision et pour certains leur obscurité originales, extraits des Sulbasutras de Baudhayana et Katyayana. Les extraits ont été choisis de telle sorte que le lecteur puisse se faire une idée précise et complète de la façon fort élégante dont était résolu le problème, très important rituellement, de l’agrandissement homothétique d’un autel en forme de faucon, problème qui mobilise une très grande partie des connaissances mathématiques présentes dans les Sulbasutras.

Du rôle de la pensée mythique-rituelle dans la gestation de la géométrie pré-euclidienne, au rôle de la philosophie dans sa naissance en Grèce antique

Rôle de la pensée mythique-rituelle

Il serait erroné de parler d’origine rituelle de la géométrie. Ce serait ignorer la contribution de centaines de milliers d’années de travail de la pierre dans la création de ce que, faute de mieux, nous appellerons des réflexes géométriques : symétrie et comparaison des grandeurs, analyse locale de l’espace-matière première suivant ses trois dimensions, tracé de lignes standards. Et pour cette période, il n’existe aucune trace sérieuse de pensée mythique et de pratiques rituelles.

Dans cet exposé, nous prenons la géométrie dans un aspect déjà relativement mature tel qu’il apparaît dans des textes pré-euclidiens : le papyrus Rhind (Égypte, début du deuxième millénaire avant notre ère), les tablettes mathématiques de l’ancien âge babylonien (même époque), les Sulbasutras de l’Inde védique (écrits au plus tard à l’époque d’Euclide, systématisation d’une tradition orale très ancienne), les Neuf chapitres sur l’art du calcul et le Classique mathématique du gnomon des Zhou (Chine des Han, de -206 à +220), et nous essaierons de rendre compte du fait que ces textes anciens vont bien au delà de tout besoin pratique de comptabilité, d’arpentage, de construction de bâtiments, etc., en nous concentrant sur l’Inde védique et sur l’Égypte antique.

Préhistoire de la géométrie : le problème des sources

La préhistoire de la géométrie

Si l’on admet que les éléments de mathématiques visibles dans les premiers documents écrits de l’antiquité, à savoir le nombre entier et rationnel, la figure et sa mesure, ne sont pas apparus sans un travail de gestation antérieur, ce qui revient à postuler une préhistoire des mathématiques en général et de la géométrie en particulier, le problème des sources
documentaires est le problème numéro un.

On a découvert beaucoup de traces, mais qui dit préhistoire et peuples traditionnels ou primitifs dit, par définition, absence d’écriture, et par conséquent impossibilité d’une lecture univoque de ces traces. La tentation est grande, nous allons le voir, de faire de la fiction et même de la mathématique fiction. Tout document est donc l’objet de controverses ; nous
envisagerons trois types de sources possibles, en allant des plus sûres au plus controversées :
 Les sources archéologiques préhistoriques proprement dites : outils lithiques, art mobilier et pariétal, en particulier les incisions, les signes « géométriques » divers et les décors. Ce sont des sources incontestables, d’origine humaine incontestable pour la plupart. Mais le sens des figurations et des signes est énigmatique et controversé ; de plus certaines traces
antérieures au Paléolithique supérieur sont candidates au titre de symboles.
 Les sources ethnographiques : pratiques des chasseurs-cueilleurs et autres sociétés traditionnelles, primitives, actuelles ou ayant récemment existé. S’il y a évidemment des divergences sur l’interprétation de ces pratiques, c’est surtout sur le rapprochement avec la préhistoire que le débat est très vif, pour la raison que la majorité des chercheurs refusent de considérer les primitifs actuels comme des fossiles vivants, pour présenter les choses sous une forme provocatrice.
 Les sources didactiques : si l’on admet que l’ontogénie, le développement individuel, reproduit en accéléré la phylogénie, le développement de l’espèce, on peut espérer que l’apprentissage mathématique de l’enfant nous donnent des indications sur une préhistoire
des mathématiques dans l’enfance de l’espèce humaine.


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