Typologie de Vergnaud et structuration du temps en Grande Section (1re partie)

Présentation de la phase initiale du protocole expérimental
mercredi 12 mars 2014
par  Christine ROSTIN

Cette recherche menée dans le cadre de l’IREM est une réflexion sur la complexité d’une famille de problèmes numériques de type additif. Ces problèmes à énoncé qui se composent d’une partie informative et d’une partie prescriptive ont fait l’objet d’une classification qui a un caractère exhaustif et exclusif, une typologie plus connue sous le nom de typologie de Gérard Vergnaud. Elle est composée de deux parties : l’une pour les problèmes multiplicatifs et de division, l’autre pour les problèmes additifs, c’est-à-dire pouvant être résolus par une addition ou une soustraction. Cette 2e partie est composée de six catégories ; deux seulement seront abordées dans cette recherche : la catégorie des problèmes de composition d’états et celle des problèmes de transformation d’état.

Introduction

L’objectif de la phase d’imprégnation est de donner aux élèves une culture commune en résolution de problème et en structuration du temps.

Cette phase initiale est également une phase exploratoire visant à collecter des informations qui seront déterminantes dans la conduite des deux phases d’expérimentation prévues à la rentrée de février.

Deux états se composent pour donner un état : c’est une composition statique qui relie des éléments simultanés (les parties et le tout).

Exemple : À midi, j’ai bu 2 verres d’eau et 1 verre de jus d’orange. Combien de verres ai-je bu en tout ?

Exemple : Dans notre cour, nous avons 5 bancs. Pendant la récréation, 3 bancs sont occupés par des enfants. Combien de bancs sont vides ?

Ces deux schémas constituent une seule classe, la classe 2 des problèmes de composition d’états, car il n’y a pas de relation d’ordre entre les deux parties.

C’est l’une des deux classes qui seront les plus spécifiquement étudiées dans le cadre de cette recherche.

Une transformation opère sur un état initial pour donner un état final : c’est une composition dynamique qui relie des éléments en faisant intervenir une composante temporelle. Cette catégorie comporte 6 classes : 3 positions pour l’inconnue et 2 transformations possibles.

Le changement est ce qui associe des états différents à une même entité à la différence du mouvement qui permet d’expliquer que des événements différents se déplacent sur l’axe du temps.

Si un événement peut être temporellement localisé, c’est qu’il est le résultat d’un processus de changement d’un état initial à un état final.

Exemple : Tu avais 2 petites voitures. Je t’en donne encore une. Combien en as-tu maintenant ?

Exemple : Pose 5 cubes sur la table. Que dois-tu faire pour en avoir 7 ?

Exemple : J’ajoute 3 bonbons dans la boîte. Maintenant j’en ai 5. Combien la boîte contenait-elle déjà de bonbons ?

C’est la deuxième classe qui fera l’objet d’une étude spécifique dans cette recherche.

Structure n° 1 : À midi, j’ai bu 2 verres d’eau et 1 verre de jus d’orange. Combien de verres ai-je bu ?

Structure n° 2 : Tu avais 2 petites voitures. Je t’en donne encore une. Combien en as-tu maintenant ?

On voit ici que le sens de la recherche suit le cheminement de la pensée et du langage et respecte l’ordre de présentation des données.

Les inconnues sont placées en début d’énoncé et confrontent d’emblée l’élève à une représentation de l’absent. Le sens de la recherche s’inverse et c’est ce mouvement de recul de la pensée que j’ai essayé de conceptualiser.

La première structure nécessiterait la maîtrise de l’inclusion. Dans notre cour nous avons 5 bancs. Pendant la récréation, 3 bancs sont occupés par des enfants. Combien de bancs sont vides ?

La deuxième structure nécessiterait la maîtrise de la réversibilité des transformations. Max avait des billes dans un sac. Il en a donné 5 . Maintenant il lui en reste 3. Combien en avait-il avant ?

Ces deux énoncés appartiennent à la catégorie des problèmes de transformation d’état.

Le premier correspond à la recherche de l’état final connaissant l’état initial et la transformation (+). Il se résout en faisant 2 + 1 = 3. Ce genre de problème en GS est résolu à 87%.

Le second correspond à la recherche de l’état initial connaissant la transformation (–) et l’état final. Il se résout en posant la même opération. Le taux de réussite est de 22% en GS.

Si l’on s’en tient au premier type d’énoncé, l’enfant aura une conception simple de l’addition comme une quantité qui s’accroît et qui implique des compétences limitées.

Toutes les situations ne se réduisent pas à ce cas de figure. La typologie de Vergnaud permet en toute conscience de diversifier les classes de problèmes que l’on propose aux élèves pour leur montrer qu’il n’y a pas de coïncidence entre les opérations arithmétiques (addition/soustraction) et les opérations de pensée (gagner ou perdre / avancer ou reculer...).

Si on se réfère à la théorie de Piaget, cette réflexion s’inscrit dans un cadre qui est celui des relations qui peuvent exister entre les opérations infra-logiques dont le temps fait partie et les opérations logico-mathématiques dont font partie l’inclusion et la réversibilité, la première étant l’opération mentale à mettre en œuvre pour résoudre les problèmes de composition d’états (classe 2) et la réversibilité de la transformation qui est nécessaire pour résoudre les problèmes de transformation d’état avec recherche de l’état initial.

Il s’agit pour l’élève d’acquérir une mobilité mentale dans les instances temporelles que sont le passé, le présent et l’avenir, et d’observer l’impact éventuel de cette mobilité chronologique sur l’évolution de la représentation que les élèves se font de ces situations mathématiques.

Le temps est un terrain privilégié pour travailler la représentation de l’absent :

  • ce qui n’est plus (le passé),
  • ce qui n’est pas encore (futur immédiat),
  • ce qui ne sera jamais (l’imaginaire, la fiction).

Des dessins pertinents classés par les élèves pourraient fonctionner, le moment venu, comme des schémas de rappel pour la mémoire.

1) Phase d’imprégnation

a) Les instruments de mesure du temps

  • 4 coucous de couleur différentes, une pour chaque saison (2 seront utilisées)
  • mode coucou : l’oiseau fait coucou autant de fois que nécessaire en fonction de l’heure indiquée
  • mode chant d’oiseau : 12 mélodies, une pour chaque mois mais le volume sonore n’est pas assez puissant pour un usage collectif.

C’est comme un minuteur mais il fonctionne visuellement avec une plage rouge qui diminue. Le temps maximum est de 1 heure.

b) Les outils

Les différentes tranches horaires de la journée sont représentées par les portions colorées du disque dont l’aire a été volontairement agrandie pour pouvoir placer des étiquettes (petites photos) permettant à l’élève de s’y repérer.

La partie claire qui correspond à 1/3 de l’aire du disque est bordée par un liseré vert foncé figurant les trajets. La partie claire est un dégradé signifiant une profondeur temporelle (la nuit).

En utilisant le timer, je me suis dit que les élèves pourraient par analogie avoir une représentation fausse de la répartition entre le temps passé à l’école et le temps passé à la maison. Ils peuvent se dire en voyant ce disque, qu’ils passent beaucoup de temps à l’école et peu de temps à la maison. La partie claire a donc été découpée.

L’idée de départ est d’amener les élèves à se construire une première représentation de la notion de problème. C’est moi qui ai baptisé cette boîte de cette façon-là. Tous les jours à l’accueil nous résolvons un problème en image et aucun enfant ne m’a à ce jour demandé ce qu’est un problème. En revanche, avant les vacances de l’été austral, je leur poserai la question pour recueillir leurs premières représentations et j’en suivrai l’évolution au cours de l’année.

Contenu : problèmes de logique, problèmes relatifs à la structuration de l’espace et problèmes appartenant à 4 des 6 catégories de la typologie de Vergnaud.

c) Les activités

Dossier sur l’école maternelle (n° 100 de l’AGIEM).

Il aurait fallu commencer par une représentation verticale, le sens de la lecture et de l’écriture n’étant pas toujours maîtrisé au moment de l’entrée en GS.

À la fin de chaque mois, nous sortons faire une promenade dans le quartier et nous recueillons dans la nature des éléments qui témoignent du moment présent.

Cette collection de bocaux enferme des traces du passé qui pourront fonctionner le moment venu comme des « machines à remonter le temps ». 

Une fois par mois, nous fêtons les anniversaire des enfants nés dans le mois. C’est une activité qui a beaucoup de succès auprès des enfants et de leurs parents qui viennent en classe avec nous pour préparer le goûter d’anniversaire.

L’enfant ajoute chaque année une unité à son âge. Ce projet repose sur deux idées essentielles :

  • C’est le désir qu’a l’enfant de grandir qui lui fait le mieux prendre conscience de l’existence du temps. Demain il lui sera permis de faire ce qui lui est interdit aujourd’hui.
  • Et c’est l’attente associée au sentiment de frustration qu’elle génère qui lui fait le mieux prendre conscience de la notion de durée. Tous les professionnels de l’enfance sont d’accord là-dessus.

Grâce à cette activité, j’ai pris conscience qu’il y avait vécu et vécu. Quand le vécu est très chargé sur un plan affectif on obtient des résultats pédagogiques inattendus et inespérés.

Autre intérêt : la recette de cuisine obéit à un ordre temporel alors que les événements décrits ne sont pas des événements passés. L’ordre temporel n’est pas réservé à la narration.

C’est un travail sur les classifications et l’inclusion de classes qui aide à structurer le raisonnement.

Procédure laborieuse : énumérer tous les objets et ne tester qu’une seule hypothèse à la fois.

Procédure plus efficace : effectuer une partition de la collection de référence pour réduire le champ des possibles (est-ce qu’il a 4 pattes ?).

En période 1, chaque semaine, un nouvel énoncé était enregistré sur un dictaphone numérique et écouté au casque sur un temps d’atelier. L’enfant pouvait demander à réécouter l’enregistrement autant de fois que nécessaire. L’ATSEM de la classe notait le nombre d’écoutes sur la feuille de l’enfant. Quand un élève avait terminé et que les éléments n’étaient pas faciles à identifier, elle interrogeait les élèves et légendait leurs dessins.

2) Phase exploratoire

a) Observation de dessins d’élèves

On peut noter ici l’utilisation de formes géométriques pour représenter le personnage et le recours à un seul arbre pour symboliser la forêt.

Le dessin de l’arbre est très figuratif, le personnage un peu moins. Le panier et son contenu sont disproportionnés mais la forme ovoïde du champignon est reproduite 4 fois selon une présentation ordonnée de gauche à droite.

Trois arbres à peu près identiques pour représenter la forêt.

Encore des formes géométriques.

Le fait que cette situation évoquée dans le texte à représenter ait été vécue induit une proximité entre l’enfant et le réel qui se manifeste par une focalisation sur une partie de la scène et qui résulte d’un effet de zoom. Du coup, certains éléments de la scène sortent du champ visuel. On va voir sur le dessin suivant l’intérêt que cela peut avoir.

Le quadrillage correspond au filet de but : c’est la partie pour le tout. On est dans une forme particulière de métonymie qu’on appelle la synecdoque où les deux termes sont liés par une relation d’inclusion.

Seule la représentation n° 3 est correcte.

Remarque identique.

Remarque identique.

A3 est le seul énoncé constitué d’une seule phrase. La compréhension du langage oral est en jeu, la mémoire de travail également.

Dessins 1 et 2 : prolifération anarchique des données numériques : absence de limite autre que celle de la feuille.

Dessins 3 et 4 : doublement des DN qui semble obéir à une nécessité psychoaffective afin que chaque personnage ait la même part. Un souci d’équité.

Dans le quatrième dessin, chaque personnage a 6 mangues : elle dessine d’abord les deux collections de mangues puis fait la répartition après (séquentialisation de l’action).

1) Dessin très structuré avec un effet de perspective et, fait étrange et inexpliqué à ce jour, cette élève a dessiné une bulle à côté de la tête du personnage et à l’intérieur de la bulle il y a un arbre.

2) Alignement de champignons.

3) Groupements de 5 champignons : quantification spontanée du réel.

Dans les trois derniers dessins, les éléments sont disposés de façon symétrique.

Dessin 1 : inclusion et simultanéité.

Dessin 2 : un effet de perspective avec une antériorité logique et chronologique (de l’arbre à la répartition dans deux boîtes).

Dessin 3 : ordre temporel et logique.

b) Première approche des problèmes de composition d’états

Compétences en jeu dans les problèmes de composition d’états avec recherche de la partie :

  • À partir de deux informations (l’une est visible et l’autre est gardée en mémoire), comprendre que je peux en fournir une troisième.
  • Utiliser le nombre pour trouver et exprimer une quantité sans la présence explicite de celle-ci.
  • Trouver, en utilisant le nombre, le complément d’une collection pour réaliser une collection référente.

1) Un tout et une partie sont connus, il faut déterminer l’autre partie.

2) Évaluations : voir diaporama n° 2

a) Évaluation sémantique

  • rapport de sous-classe à sous-classe
  • rapport de sous-classe à classe englobante

b) Évaluation mathématique

Sur la table il y a 5 assiettes. 2 sont bleues, les autres sont marron. Dessine-les.

Conclusion

1) Elle est d’une importance capitale, c’est elle qui conditionne la compréhension d’un énoncé quel qu’il soit.

2) Le vécu : par la proximité au réel qu’il induit pourrait favoriser des procédures de substitution favorisant en retour la symbolisation et l’abstraction.

3) Certaines dispositions ou défauts révélés dans les dessins seront intéressants à suivre : non respect des données numériques, séquentialisation, organisations spatiales particulières (alignements, symétrie), quantification spontanée du réel, absence de mise en relation.

4) Acquérir l’inclusion, c’est être capable de concevoir le tout en fonction des parties (B = A + A’) et la partie en fonction du tout et de l’autre partie (A = B – A’), relation qui est obtenue au terme d’une réversibilité par négation ou inversion. La notion de réversibilité est-elle aux portes des problèmes de composition d’états ?


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