Le Darion, un jeu endémique de La Réunion

mercredi 16 novembre 2022
par  Alain BUSSER , Patrick SCHILLI

Le darion (ou daryon, ou dayon) est la version réunionnaise du jeu des petits chevaux. Toutefois, il offre la particularité de ne pas utiliser de dé, mais un groupe de 6 graines qui rend bien plus fréquent le 3 que les autres nombres : jouer à daryon fait découvrir une situation où il n’y a pas d’équiprobabilité.

Origine du jeu

On ne sait pas depuis combien de temps le jeu de daryon existe à La Réunion. Au moins 50 ans. Il est donc possible en théorie que le daryon soit issu d’une adaptation locale du jeu des petits chevaux qui existe depuis plus longtemps que cela.

Néanmoins, une origine indienne est plus probable, en raison du mode de peuplement de La Réunion, et du fait que le pachisi utilise également un pile ou face répété à la place du dé. En fait le Darion se distingue du Pachisi par les points suivants :

  • au pachisi, on lance des cauris et non des graines, ce qui rend moins équiprobables les faces du cauri (ci-dessous on admettra que le côté foncé a autant de chance que le côté clair d’être en haut).
  • Le comptage des points gagnés ne suit pas le même algorithme au pachisi et au darion.
  • La taille du plateau de jeu n’est pas la même [1].
  • Au pachisi il semble d’usage que les 4 joueurs soient en équipes de 2 (comme au bridge) alors qu’au Darion chacun joue contre tous les autres, sauf en cas d’alliances provisoires entre joueurs (ce qui renforce l’aspect social du jeu).

Le mystère s’épaissit lorsqu’on constate qu’un jeu similaire avait été inventé en amérique précolombienne : le patolli des aztèques.

Il est possible que ces deux jeux puisent leur origine encore plus loin, leur plateau en forme de croix pouvant s’obtenir par rotation à partir de celui du senet (qui se jouait également sans dé mais avec des baguettes à deux faces de couleurs différentes).

Le daryon se joue sur un plateau ressemblant à ceci :

Les cases en forme de triangle jouent un rôle spécial : les petits triangles sont des cases de départ et d’arrivée des pions, et les grands triangles sont des cases où les pions sont protégés (zones neutres). On peut donc dérouler le graphe pour obtenir cette variante, plus visible, du plateau (les grands triangles sont devenus des carrés) :

Chaque joueur dispose de 3 pions, initialement rangés dans sa maison (case triangulaire de la couleur des pions). Le but du jeu est de faire faire un (ou plusieurs) tour complet du carré (par exemple dans le sens des aiguilles d’une montre ; sens choisi une fois pour toutes au début de la partie), par chacun des pions. Le premier joueur qui a réussi à ramener ses trois pions dans leur maison a gagné. Mais

  • si un pion arrive sur une case occupée (à part les cases neutres où tout le monde est protégé : les grandes cases des coins, et dans certaines variantes, les cases grisées), il renvoie à la maison les pions qui y étaient déjà (sauf ceux de sa propre couleur)
  • un pion qui n’a renvoyé aucun pion à la maison n’a pas le droit de rentrer normalement : il faut avoir renvoyé au moins un pion adverse à la maison pour pouvoir rentrer soi-même.

Pour sortir de la maison, il faut faire un 1 (dans certaines variantes, faire un 5 permet de sortir 2 pions d’un coup, et faire un 6 permet de sortir les trois pions d’un coup). Cela permet de placer le pion dans la case qui est juste devant la maison. Les trois cases qui sont devant la maison ne sont accessibles qu’aux pions de la couleur de la maison : elles ne sont empruntées que pour amener un pion vers le carré extérieur au début du jeu, et pour le rentrer à la fin du jeu. Un pion est donc protégé des attaques des autres pions tant qu’il est dans ce couloir de 3 cases (dans certaines variantes du jeu, de 4 cases, celle qui est grisée étant aussi protectrice).

Lorsqu’un (ou plusieurs) pion sort de sa maison, on rejoue.

Pour rentrer dans la maison, il faut avoir déjà renvoyé un pion adverse au moins dans sa maison, et faire le nombre exact de points. Par exemple un pion qui est à deux cases de sa maison ne peut y aller qu’en faisant 2 points ou 1 point (auquel cas il faudra faire 1 point par la suite).

Calcul des points

On n’utilise pas de dé à daryon. À la place, on fait 6 « pile ou face ». Traditionnellement on utilise des graines (haricot, tamarin) dont un côté est frotté pour qu’il soit plus clair que l’autre côté (on enlève le tégument sur la moitié de la graine), et c’est le nombre de côtés foncés (entre 0 et 6) qui détermine le nombre de points :

  • ◯◯◯◯◯◯ vaut 6 points (le pion avance de 6 cases)
  • ⬤◯◯◯◯◯ vaut 1 point (le pion avance d’une case, ou sort de sa maison)
  • ⬤⬤◯◯◯◯ vaut 2 points (le pion avance de 2 cases)
  • ⬤⬤⬤◯◯◯ vaut 3 points (le pion avance de 3 cases)
  • ⬤⬤⬤⬤◯◯ vaut 4 points (le pion avance de 4 cases)
  • ⬤⬤⬤⬤⬤◯ vaut 5 points (le pion avance de 5 cases, ou on sort 2 pions de la maison)
  • ⬤⬤⬤⬤⬤⬤ vaut 12 points (le pion avance de 12 cases).

En résumé, on avance d’autant de cases qu’il y a de graines foncées, mais avec un bonus de 6 points si les graines sont toutes de la même couleur.

On peut aussi utiliser 6 jetons de reversi qu’on lance tous en même temps. Noter qu’il est possible de montrer le nombre de cases dont un pion avance dans le jeu : il suffit d’aligner les ⬤ avec les cases. En ne mettant pas de ⬤ sur la case où est actuellement le pion, le dernier ⬤ montre la case d’arrivée.


Lors de la fête de la science 2022, des animateurs IREMI ont eu l’occasion de jouer en plein air à Darion (sur le front de mer de Terre Sainte) :

(de gauche à droite, Philippe Roulph, Dominique Tournès, Patrick Schilli et Marion Le Gonidec)

(de gauche à droite, Patrick Schilli, Marion Le Gonidec et Philippe Roulph)

Cette table extérieure de Darion est le fruit du travail de

  • Sophie Hoarau (auteure, habitante de Terre-Sainte)
  • David Léon-Gimenez (céramiste)

avec la collaboration de Pascal Dorr (professeur de mathématiques) pour l’entretien de la table.


[1En fait le plateau de Darion n’est pas unique au monde, le même plateau (avec d’autres règles) étant utilisé à Sri Lanka pour le jeu Asi Keliya.


Commentaires

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samedi 15 juillet 2023 à 07h07 - par  Alain BUSSER

Bonjour,

à ce jour l’origine de Darion n’est pas connue (et il n’est pas certain qu’on puisse la connaître un jour). Sa ressemblance avec le Pachisi indien est frappante et on peut estimer que (contrairement à alquerkonane qui a été créé à La Réunion et non adapté d’un jeu externe), le Darion n’est pas indigène de La Réunion : il provient sans doute d’ailleurs. Néanmoins, jusqu’à plus ample informé, Darion (comme le 21) a, une fois introduit à La Réunion, évolué vers une forme qui n’existe (semble-t-il) nulle part ailleurs dans le monde, ce qui fait de ces jeux, des jeux endémiques de La Réunion. Pour prouver le contraire, il faudrait trouver un pays où on joue au Darion, avec exactement les mêmes règles qu’à La Réunion. Il semble même que le Darion soit endémique du Sud-Ouest (Saint-Louis, Saint-Pierre).

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jeudi 24 novembre 2022 à 15h34 - par  Vernay

Bonjour,
êtes-vous persuadé qu’il s’agit véritablement d’un jeu endémique de la Réunion ?
J’ai vu pratiquer ce jeu en Inde, dans la région du Rajasthan. J’avais d’ailleurs acheté alors un plateau de jeu en tissu.
Le lancer de cauris remplaçait le dé.
Je confirme l’intérêt de ce jeu mais je doute de l’origine que vous lui attribuez.
Cordialement
Sylvie Vernay