Preuve judiciaire et démonstration mathématique

Mathématiques et philosophie en classe de seconde
mardi 20 août 2013
par  Bruno MORIN , Stéphane GOMBAUD

Présentation de l’intervention ciblée « mathématiques et philosophie » à destination d’une classe de seconde du lycée Leconte-de-Lisle ; contenu des cours de philosophie et de mathématiques.

 Professeur de philosophie : Stéphane Gombaud
 Professeur de mathématiques : Bruno Morin

Philosophie : la preuve judiciaire, partie 1

Durant la première moitié de l’année scolaire 2012-2013, les élèves de la classe de Seconde 3 ont réfléchi à la notion de preuve judiciaire. Dans la justice des hommes, pour respecter les droits de l’homme et pour mener les enquêtes à bien, des règles et principes légaux sont nécessaires. Cette rigueur de la preuve judiciaire est-elle la même que la rigueur exigée en cours de mathématique ?

La preuve judiciaire, une preuve rigoureuse ?

Quelques précisions introductives sont nécessaires quant à la mise en œuvre de cette intervention ciblée d’un professeur de philosophie dans une classe de seconde du lycée Leconte-de-Lisle.

Le parti pris de ce cours est de faire dialoguer la justice et la justesse, ce par quoi l’institution de la justice s’efforce d’être juste (ou pas trop injuste) et ce grâce à quoi la science (tout particulièrement les mathématiques, mais aussi un peu la physique) arrive à être juste.

Comment se déroulent les choses ? Comment arriver à ce dialogue ? Pratiquement, le cours est une réflexion suivie à partir du questionnaire initial présenté à tous les élèves. C’est bien sûr aussi un moment où la prise de parole des élèves est toujours bien accueillie... voire sollicitée par moments ! Le professeur ne peut espérer arriver à un résultat s’il n’utilise ce temps de reprise des questions initiales sans procéder à de nombreuses mises au point sémantiques ainsi que des explications conceptuelles, peut-être coûteuses en temps, mais absolument nécessaires.

Dans la pratique de classe, la discussion avec les élèves est renforcée par le choix qui a été fait de s’appuyer systématiquement sur les réponses fournies par écrit en redonnant la parole à leur auteur.

La logique interne de ce cours

Il convient de préciser d’emblée deux points à propos du questionnaire.

Premièrement, l’ordre des questions a été ainsi conçu. Une première question sur les proverbes a été formulée pour inciter chacun à réagir à sa manière, à proposer des idées. Les deux questions qui suivent portent sur le droit contemporain et ses procédures de mise en accusation, elles ont été conçues afin d’inciter les élèves à la plus grande prudence dans la formulation de leurs réponses. Les deux dernières questions, portant sur des passages fameux du Traité de la tolérance de Voltaire, devaient produire l’étonnement de chacun, et amener une réflexion critique focalisée non sur des idées, mais sur des types de raisonnement.

Deuxièmement, le questionnaire n’aborde pas directement des points d’histoire des sciences et ne mobilise aucun savoir mathématique pointu. Mais l’ensemble des questions permet, lors de la reprise devant la classe, de faire porter l’attention des élèves sur des notions transversales comme la certitude, l’opposition du sensible et de l’intelligible, l’utilisation de définitions et le recours à des principes pour rendre une pensée rigoureuse, la construction d’une preuve.

Les deux parties de l’intervention ciblée

L’intervention s’est déroulée sur plusieurs mois, à raison d’une heure par quinzaine... en raison de l’emploi du temps des élèves. Pour ces deux parties un total de 10 heures de cours a été effectué.

La première partie du cours s’arrête à l’étude des documents fournis, les deux extraits du Traité de la tolérance de Voltaire (1763).

Une deuxième partie prend en charge cette étude. La difficulté est plus grande, non pas parce que la référence à la démonstration mathématique ou la rigueur du calcul des preuves devient explicite, mais parce qu’il est alors nécessaire d’opérer une sorte de voyage dans le temps et de se transporter mentalement dans la société d’Ancien Régime, avec ses mentalités particulières et ses institutions politiques ou juridiques très différentes des nôtres, en ce qui concerne les principes mêmes de la justice.

partie 2

Questionnaire de philosophie soumis aux élèves

L’intervention du professeur de philosophie a été précédée d’une séance d’une heure lors de laquelle un questionnaire a été remis aux élèves. Chacun a proposé ses idées à l’écrit sur des questions générales. Après avoir lu des extraits d’un texte de Voltaire, la réflexion des élèves a pu s’engager sur le problème de la nature de la preuve judiciaire.

Raisonnements et quarts de raisonnement, preuves et demi-preuves

Ce questionnaire est prévu pour une durée de 50 minutes. Pour chaque question vous pouvez développer vos idées, donner les arguments qui justifient votre réponse.

  1.  Que signifient les proverbes « il n’y a pas de fumée sans feu » et « l’habit ne fait pas le moine » ? Lequel d’après vous contient le plus de vérité ?
  2. Une personne placée en garde à vue ou bien mise en détention provisoire est-elle coupable des faits qui lui sont reprochés ?
  3.  Une personne reconnue coupable par un tribunal d’assises est-elle toujours coupable du crime dont on l’accuse ? Une personne acquittée est-elle innocente ?
  4.  Lisez attentivement ce texte de Voltaire extrait de son Traité sur la Tolérance, chapitre XXV.

    J’apprends que le Parlement de Toulouse et quelques autres Tribunaux ont une Jurisprudence* singulière ; ils admettent des quarts, des tiers, des sixièmes de preuve. Ainsi, avec six oui-dires d’un côté, trois de l’autre, quatre quarts de présomption, ils forment trois preuves complètes ; sur cette belle démonstration, ils vous rouent un homme** sans miséricorde. Une légère connaissance de l’art de raisonner suffirait pour leur faire prendre une autre méthode. Ce qu’on appelle une demi-preuve, ne peut être qu’un soupçon : il n’y a point à la rigueur de demi-preuve ; ou une chose est prouvée, ou elle ne l’est pas ; il n’y a point de milieu.
    * Dans la langue juridique de l’époque, la jurisprudence désignait les règles de justice qui sont établies par coutume.
    ** Ce supplice consistait à mettre un condamné à mort sur une roue pour lui casser les membres avec une barre de fer.

    Que veut dire sa phrase « une légère connaissance de l’art de raisonner suffirait pour leur faire prendre une autre méthode » ? Êtes-vous d’accord avec VOLTAIRE quand il affirme « une chose est prouvée, ou elle ne l’est pas ; il n’y a point de milieu » ?

  5.  Voltaire poursuit ainsi son discours :

    Cent mille soupçons réunis ne peuvent pas plus établir une preuve, que cent mille zéros ne peuvent composer un nombre. Il y a des quarts de ton dans la Musique, encore ne les peut-on exécuter ; mais il n’y a ni quart de vérité, ni quart de raisonnement. Deux témoins qui soutiennent leur déposition sont censés faire une preuve ; mais ce n’est point assez : il faut que ces deux témoins soient sans passion, sans préjugés, surtout, que ce qu’ils disent ne choque point la raison.

    1. Le terme « soupçon » a plusieurs sens : opinion défavorable, doute, simple conjecture, très faible quantité de quelque chose. Cent milles soupçons n’est-ce pas quasiment une preuve ? Et, si cent mille personnes soupçonnent la même chose, peuvent-ils tous avoir tort ? L’objet de leur soupçon commun peut-il être considéré comme douteux ou même erroné ?
    2. Quand deux témoins rapportent les mêmes faits, le tribunal peut considérer leur déposition comme une preuve. Peut-on en déduire qu’un seul témoin apporte une demi-preuve ? Question supplémentaire : si ce n’est pas le cas, un témoignage isolé a-t-il vraiment de la valeur ?
    3. Si trois, quatre, cinq ou plus encore témoins apportent toujours le même témoignage, est-ce que la preuve se renforce ? Jusqu’à quel point ? Question supplémentaire : la preuve produite par deux témoignages seulement est-elle solide ?

partie 3

Première partie du cours de philosophie

La justice des hommes n’est pas parfaite. Juges, législateurs et simples citoyens en sont conscients. Ils peuvent donc utiliser leur raison pour mettre au point des procédures fiables, autant qu’il est possible, et qui correspondent aux idées communes de justice. Mais au fait qu’elles sont-elles, ces idées communes ? Un procès peut-il être équitable ?

De l’évidence sensible et de la nécessité

1. Que signifient les proverbes « il n’y a pas de fumée sans feu » et « l’habit ne fait pas le moine » ? Lequel d’après-vous contient le plus de vérité ?

La sagesse populaire

Il s’agit de proverbes. Deux parmi tant d’autres : « Loin des yeux, loin du cœur » ; « Qui se ressemble, s’assemble » ; « Il ne faut jamais dire « fontaine je ne boirai pas de ton eau » ». On ne connaît pas les auteurs de ces formules ou bien on a oublié leur nom. Et ce n’est pas grave, car les idées défendues existaient bien avant eux. Les proverbes sont issus de la sagesse populaire, ce qu’on désigne parfois par l’expression de « bon sens ».

Les mécanismes psychologiques

Deux caractéristiques notables des proverbes : d’une part, ils vont souvent par paire ; d’autre part, ils peuvent donner lieu à d’interminables discussions ! Ils vont par paire. Car ils expriment des mécanismes de la pensée, qui peut aller dans un sens ou dans le sens contraire. Loin des yeux, loin du cœur, car la séparation physique (le fait de n’être pas présent, par conséquent de ne pas pouvoir agir) distend des liens affectifs. Mais la séparation renforce aussi des liens affectifs, car seul celui qui n’est pas présent peut nous manquer ! Loin des yeux, près du cœur ! Les proverbes portent sur des choses qui peuvent toujours être objet de discussion, mais en eux-mêmes ils sont indiscutables. Ce qui peut être discuté, c’est l’effet de la séparation sur telle personne dans telle situation. Ce qui ne semble pas discutable, c’est le mécanisme psychologique de l’éloignement : l’absence d’un être envers qui nous ne sommes pas indifférents, c’est quelque chose qui nous marque, parfois en se faisant sentir comme cruelle, parfois en nous faisant du bien et nous apaisant. La sagesse populaire nous livre ainsi ses avertissements. Libre à nous d’en faire ce que nous voulons.

Croire ou refuser de croire parce que « c’est évident » ?

Je vois quelqu’un qui donne à un mendiant un billet de dix euros. C’est d’évidence une personne charitable. Mais, si j’ai vu cette personne, elle m’a vu aussi... peut-être le don du billet s’explique par cela et non pas par la charité ! C’est une personne qui veut me faire croire qu’elle est charitable. Parce qu’elle ne l’est pas. Je dois croire parce que c’est évident : il n’y a pas de fumée sans feu ; je dois refuser de croire parce que c’est (trop) évident : l’habit ne fait pas le moine. Traduction immédiate dans un tribunal. Le juge doit croire que l’accusé est coupable, car il a un puissant mobile. Mais si l’accusé a bien un tel mobile, il savait avant de commettre son crime qu’il serait accusé et donc il n’a pas dû commettre le crime. Si je suis avocat de l’accusation je soutiens la première idée. Si je suis en revanche l’avocat de la défense, je soutiens la seconde.

L’argumentation rhétorique

On appelle « rhétorique » l’art de persuader en disant ce qui est vraisemblable. Le rhéteur a le choix d’utiliser les arguments s’appuyant sur l’évidence ou bien de recourir à des arguments opposés, au nom d’une vraisemblance plus haute. Traditionnellement on oppose la rhétorique et la philosophie. Le philosophe (Socrate) serait en quête de vérité, quand le rhéteur (Protagoras, Gorgias) s’en moquerait. Est-ce que le bons sens est fiable ? Oui, certes. Mais il tend à confondre deux ordres, celui du probable et celui du nécessaire.

Le sensible et l’intelligible, retour à nos deux proverbes

La fumée qu’on aperçoit ou bien qu’on sent, le feu dont on aperçoit la flamme ou qui nous réchauffe : voici des phénomènes. C’est l’ordre du sensible (par opposition à intelligible) : l’ensemble des choses, en tant que choses qui apparaissent et disparaissent, dont nous pouvons être les témoins. On parle de « témoignage des sens ». La règle qui oblige le moine à porter un habit de bure ou bien la loi de la nature qui lie le feu (comme oxydation) et le dégagement de chaleur (mesuré en joules) : ce sont des relations intelligibles. Les choses mises en relation peuvent être tirées de l’expérience, mais la relation elle-même n’est rien d’autre qu’une création de mon esprit. C’est l’ordre de l’intelligible : l’ensemble des relations entre les choses, en tant que relations contingentes (pouvant être modifiées, comme dans le cas de la règle instituée) ou nécessaires (ne pouvant être modifiées, comme dans le cas de la loi de la nature). Ces relations sont pensées et non pas perçues.

Des principes de la justice

2. Une personne placée en garde à vue ou bien mise en détention provisoire est-elle coupable des faits qui lui sont reprochés ?

L’arrestation d’un suspect par les forces de police est un fait divers qui peut avoir de grandes répercussions pour la personne et avoir un énorme retentissement médiatique. « Rebondissement dans l’enquête sur l’affaire... , X a été appréhendé à son lieu de travail. Menotté, le suspect a été conduit au poste de police sous bonne garde. »

D’abord soumise à une simple garde à vue (de 1 à 6 jours au maximum) puis au régime de la détention provisoire si un juge en décide, la personne arrêtée l’est pour un motif sérieux (protéger une victime, empêcher que des pressions soient faites sur des témoins, permettre le bon déroulement d’une enquête) avec information immédiate du procureur de la république. La garde à vue est une procédure, dont le déroulement obéit à des règles strictes (information de la personne sur l’infraction, droit de se faire assister par un avocat, examen médical, enregistrement des interrogatoires... même des règles concernant les repas sont prises pour éviter toute forme d’humiliation tout en garantissant la sécurité). À l’issue de la garde à vue, un procès-verbal de déroulement et fin de garde à vue doit être dressé. Fin de la procédure.

La détention provisoire est une autre procédure, qui permet à la justice d’emprisonner un individu avant son jugement. De même que la garde à vue, cette détention doit être motivée mais elle doit de plus être décidé par un juge, le juge des libertés et de la détention, après un débat contradictoire (opposant le réquisitoire du parquet et les arguments de la personne accusée).
Une simulation qui montre la délicate tâche du juge des libertés et de la détention : http://www.maitre-eolas.fr/post/200...

La personne accusée est officiellement appelée un mis en examen. Il s’agit en effet d’éviter de dire « suspect » ou « inculpé » ou « présumé coupable » expressions qui tendent à condamner celui qui a été arrêté avant même son procès. Elles respectent trop peu la présomption d’innocence.

La présomption d’innocence est une règle du droit garante de la liberté et de l’égalité de tous devant la loi. Elle a été fortement rappelée dans la loi, en 2000, pour éviter des abus quand au nombre et la durée de la détention provisoire. « Quelle que soit l’étape de la procédure pénale, un principe est de rigueur : la présomption d’innocence. Le prévenu, le mis en examen (l’inculpé) et l’accusé sont présumés innocents jusqu’à leur condamnation par la juridiction compétente, auquel cas ils deviennent des condamnés. » http://www.gabin-romualdinho13.com/...

L’idée – fondamentalement raisonnable, voire philosophique – est que tout individu est certes un coupable potentiel, mais qu’il appartient seulement au tribunal de dire la culpabilité ! Aucune autre personne (la foule, un justicier) aucune autre autorité (police, douane, école) aucun autre juge (juge d’instruction, juge des libertés et de la détention) ne le peuvent. Pendant longtemps, l’exercice de la justice a été cruel. La loi elle-même offrait peu de garanties juridiques aux personnes appréhendées (elles n’avaient pas le droit d’avoir un avocat pour les aider à présenter leur défense, elles devaient prouver leur innocence... au lieu que ce soit à l’accusation de prouver leur culpabilité). Le juge pouvait mentir pour obtenir des aveux ! La torture était pratiquée légalement ! La justice moderne s’est dotée de procédures afin d’éviter l’arbitraire. On a alors pris garde aux mots employés, pouvant avoir un caractère vexatoire (ou stigmatisant). En effet, quand on entend dire de quelqu’un qu’il est « présumé coupable » on oublie vite « présumé » pour ne retenir que « coupable ». Et l’opinion publique a sans doute alors trop tendance à penser qu’ « il n’y a pas de fumée sans feu », plutôt que de consentir à l’idée que « l’habit ne fait pas le moine ». Désigner quelqu’un par les mots « personne de petite taille » plutôt que par le terme de « nain », ce genre de prudence sémantique relève du « politiquement correct ». Certes, certaines locutions peuvent faire sourire (« technicien de surface »), mais dans le cas du « mis en examen » cette règle d’expression est nécessaire. Il ne s’agit pas d’employer un euphémisme pour cacher les faits mais de la nécessité de protéger une personne affaiblie, qui ne peut guère se défendre contre des attaques gratuites, contre la rumeur et ses ravages.

3. Une personne reconnue coupable par un tribunal d’assises est-elle toujours coupable du crime dont on l’accuse ? Une personne acquittée est-elle innocente ?
La question est en apparence très simple donnant lieu à une réponse évidente. Mais la prudence s’impose ! Il y a en fait deux points de vue à adopter successivement, celui de l’opinion publique et celui du droit – perspective que doivent adopter les professionnels de la justice (juges, procureurs, huissiers, greffiers...).

Du point de vue de l’opinion publique, le droit est une institution utile qui peut néanmoins commettre des fautes. Des procès peuvent mal se dérouler ; des verdicts précipités peuvent être rendus ; des innocents peuvent être condamnés et des coupables innocentés. Ce qui est reconnu est le caractère humain, donc faillible, de l’institution. Pensant que « l’erreur est humaine », on conçoit aisément qu’une personne mise en examen finalement reconnue coupable est en réalité innocente... ou bien qu’une autre personne ayant été mise en examen puis acquittée est en fait coupable de ce dont on l’accusait ! Il arrive régulièrement que des personnes condamnées soient remises en liberté suite à une révision de leur procès. C’est en particulier le cas de personnes dont l’innocence a finalement été reconnue à la suite d’aveux du vrai coupable ! De tels cas sont très rares. Beaucoup plus fréquents sont les cas de procès sur lesquels règne la suspicion. L’histoire de la justice comporte effectivement des zones d’ombre. Des affaires non élucidées ont fait la une des journaux et parfois ont continué à faire parler d’elles durant des années. En France, une des plus longues et controversée est l’affaire Seznec. Deux films documentaires de Jean-Xavier de Lestrade, Soupçons et Soupçons 2. La dernière chance retracent l’odyssée judiciaire de l’américain Michael Peterson, accusé d’avoir tué sa femme retrouvée morte en bas d’un escalier. http://television.telerama.fr/telev...,92202.php

La faillibilité de la justice est reconnue par l’institution elle-même. C’est ce qui justifie les procédures de seconde instance. Un jugement de première instance peut être cassé par un jugement de seconde instance, au sein d’une cour d’appel. Cette dernière a pu être saisie soit par le défenseur qui juge son procès inéquitable soit par le procureur qui veut obtenir pour l’accusé, au nom de la société, une plus lourde peine, plus dissuasive. Le tribunal de cassation peut aussi être saisi. Alors les faits ne seront pas rejugés mais le verdict final peut être cassé si la défense arrive à montrer que le droit n’a pas été respecté, que toutes les garanties légales de justice n’ont pas été remplies.

Du point de vue du droit, considérons ce qui peut être dit en public dans le cadre de la loi. La parole dans le cadre de la liberté de parole, a néanmoins des limites. Comme tout droit qui s’arrête à l’abus. Pour la parole il s’agit de ne pas verser dans la diffamation. Or, dire de quelqu’un qu’il est coupable d’un crime, c’est commettre une accusation pouvant nuire à la personne, et donc verser dans la diffamation ! Qu’il soit effectivement coupable (ou innocent) ne rentre pas en ligne de compte, les torts éventuels en sont indépendants. Au marché, je discute avec une connaissance : « le tribunal s’est trompé, X est bien coupable du crime ! ». La première proposition relève de la liberté d’opinion. Mais la seconde proposition est bel et bien une diffamation, faisant injure à X. Attention au procès... si X l’apprend et porte plainte !

Ce qu’il faut donc bien comprendre est que pour le système du droit il n’y a pas de culpabilité ni d’innocence en soi. Les juges se gardent bien de dire ou de penser qu’ils détiennent la vérité. Laissons à Dieu de « sonder les cœurs et les reins » et ayons confiance dans sa Justice. Il y a justice des hommes et Justice de Dieu. Seule la seconde est par définition parfaite. Mais elle nous est inaccessible. justice remplit sa fonction non quand elle s’abat sur le pécheur pour lui faire avouer ses fautes, mais quand elle met fin à une instruction en rendant un verdict définitif, au nom de toute la société, de la victime mais aussi de toute personne qui aurait pu également être une victime. C’est en cela que ce n’est pas une forme de vengeance mais un procédé raisonnable. Ainsi le droit est une institution créant des coupables et des innocents ! Pour que les uns réintègrent la société en possession de l’intégralité de leurs droits, pour que les autres soient punis, suivant ce que prévoit la loi. La justice des hommes prend en charge – dans le cadre de ses procédures faillibles, mais aussi bonnes et respectueuses de la loi qu’on puisse l’espérer – la culpabilité. À l’idée populaire de culpabilité se substitue une idée purement juridique. La culpabilité est redéfinie pour tout « justiciable » comme le fait d’avoir été condamné par un tribunal, à l’issue d’une procédure correctement exécutée, suivant la loi, pour tel fait précis. Être coupable ne dépend plus de rien d’autre que du jugement du tribunal. Ce qui, d’ailleurs, s’accorde parfaitement avec la présomption d’innocence précédemment évoquée.

Précisions sur la cour d’assises et les jurés populaires : http://fr.wikipedia.org/wiki/Cour_d...(France)

Approfondissements

A. La rigueur de la loi « dura lex, sed lex ».

Ce proverbe signifie « la loi est dure, mais c’est la loi », sous-entendu il faut l’accepter sans chercher à s’y soustraire ou à en exempter quelqu’un, même si elle nous apparaît très sévère.

Opposition de la rigueur et de la cruauté, voire de la sévérité. Car le droit se veut objectif, non pas arbitraire mais fondé sur l’observation stricte des procédures. Est rigoureuse non pas la justice qui serait expression de l’Etat moderne, « le plus froid de tous les monstres froids » (Nietzsche), non pas la machine judiciaire en ce qu’elle punit, fait souffrir, peut broyer les personnalités les plus fragiles, mais la justice qui arrive à être l’expression de la démocratie qui s’efforce d’accorder à tous l’isonomie, les mêmes droits, la même « quantité » de droits. La justice s’efforce d’être aussi rigoureuse que possible ; dans une république, le droit s’efforce d’être aussi cohérent qu’une science.

Ce qui fonde la rigueur de la justice pénale c’est la proportionnalité des délits (ou crimes) et des peines. Quand celle-ci est assurée l’arbitraire recule et n’importe qui est traité comme tous les autres. La rigueur est en fait une volonté ferme d’appliquer des normes universelles, de peser pour tous les délits avec les mêmes poids, en leur attribuant la même gamme de sanctions.

Et la rigueur des mathématiques ? Elle tient également à la recherche d’universalité et à l’adoption d’un langage univoque, pouvant être compris par tous.

B. Les principes du droit

Qu’est-ce que c’est qu’un principe ? Quelque chose permettant de justifier une position, mais ne pouvant être soit même justifié... Il faut éviter la régression à l’infini, l’invention de principes des principes, de principes des principes des principes ! Si c’est un principe, il faut l’accepter non le discuter.

Le droit est fondé sur des principes car c’est une construction rationnelle. Une coutume comme la vengeance n’est fondée sur rien d’autre que sur la force ou bien, dit autrement, la capacité d’un individu à se faire justice en punissant lui-même une personne. Le droit est fondé sur autre chose, qui doit être indiscutable. Si le droit s’abat sur telle personne qui se trouve condamnée, c’est en vertu des lois qui existent dans une société donnée. Le bourreau ou les fonctionnaires de l’administration pénitentiaire ont en charge de faire appliquer la décision de justice, mais n’en sont pas responsables. Il ne sont que des exécutants. Le juge qui délivre le verdict ne fait que dire publiquement la juste peine, il n’en est pas responsable. Les jurés qui ont décidé du verdict dans le huis-clos du tribunal ont jugé les faits, mais ont été obligés de suivre les lois, ne pouvant se laisser guider par leur fantaisie. Ils ont été forcés de choisir telle peine. En définitive, seul le condamné est responsable de sa punition. Car en transgressant la loi c’est lui-même qui s’est exposé au risque d’être jugé et puni, même s’il désirait demeurer hors de l’atteinte des juges. Il est possible de simplifier en disant que cette personne s’est elle-même rendue coupable des faits (du crime ou du délit) car nul n’est censé ignorer la loi !

« Nul n’est censé ignorer la loi », c’est une vérité première du droit, une base pour toute condamnation. En effet, nul ne peut être jugé coupable pour avoir enfreint une loi qui aurait été promulguée après les faits. Mais, à partir du moment où la loi existe, l’ignorer (volontairement ou non) n’est pas une excuse recevable. Pas davantage que croire qu’on peut ne pas s’y soumettre et s’efforcer de satisfaire ses intérêts personnels sans en tenir compte. Nul ne doit oublier les droits que tous les autres citoyens possèdent. Un cas simple peut illustrer ce propos. Imaginons une personne ayant bu tellement d’alcool qu’elle a perdu son bon sens et ne se rend plus bien compte de ses actes. Elle peut donc enfreindre une loi qu’elle aurait respectée à jeun, dans un état normal. Mais, de même que toute autre, la personne enivrée n’est pas censée ignorer la loi ! Logiquement sa responsabilité est pleinement engagée. Car le fait de s’être mise d’elle-même dans une situation où elle ne peut plus respecter la loi était d’emblée une faute au regard du droit.

Précédemment nous avons vu deux principes qui sont sans doute également nécessaires et qui, dans l’esprit, se rejoignent. Car ils ont la même visée fondamentale : protéger la personne dont les droits sont inaliénables... même si elle a commis de mauvaises chose ! Deux principes qui sont, pour l’un, plutôt un axiome, pour l’autre, une définition.

C. L’axiome de la présomption d’innocence

« Toute personne doit être considérée comme innocente tant qu’elle n’a pas été jugée. » C’est une sorte d’évidence, dans un régime démocratique. On peut aussi dire que c’est un axiome puisque le mot désigne un jugement dont il ne faut pas douter, une vérité évidente pour laquelle il n’y a pas besoin de preuve.

Le problème du postulat (censé pouvoir être démontré, à l’aide d’un raisonnement reposant sur d’autres axiomes et définitions) ; l’axiome est, quant à lui, a priori considéré comme vrai. D’une certaine manière il est hypothétique.
Sur Wikipédia : En épistémologie, un axiome est une vérité évidente en soi sur laquelle une autre connaissance peut se reposer, autrement dit peut être construite.

En mathématiques, le mot axiome désignait une proposition qui est évidente en soi dans la tradition mathématique grecque, comme dans les Éléments d’Euclide. L’axiome est utilisé, désormais, en logique mathématique, pour désigner une vérité première, à l’intérieur d’une théorie. L’ensemble des axiomes d’une théorie est appelé axiomatique ou théorie axiomatique. Cette axiomatique doit être non contradictoire ; c’est sa seule contrainte. Cette axiomatique définit la théorie ; ce qui signifie que l’axiome ne peut être remis en cause à l’intérieur de cette théorie, on dit alors que cette théorie est consistante. (...) Des axiomes servent de base élémentaire pour tout système de logique formelle. Par exemple, on peut définir une arithmétique simple, comprenant un ensemble de « nombres » et une loi de composition, +, interne à cet ensemble, en posant (en s’inspirant un peu de Peano) :

  1. un nombre noté 0 existe
  2. tout nombre X a un successeur noté succ(X)
  3. X+0 = X
  4. succ(X) + Y = X + succ(Y)
    Beaucoup de théorèmes peuvent être démontrés à partir de ces axiomes.
    Pour consulter la suite de l’article : http://fr.wikipedia.org/wiki/Axiome

Les mathématiques sont une axiomatique rigoureuse. Le droit ne l’est pas exactement, car il comporte bien d’autre chose que des axiomes, des définitions et des théorèmes... même si dans son système on relève l’existence d’axiomes et de définitions et de propositions déduites de ces principes.

D. La définition juridique du coupable, une définition générique

Il s’agit d’une définition spéciale, de nom et non de fait, qui est faite pour concilier les points de vue des uns et des autres en dépassant les simples opinions. Exemple, deux définitions de rouge « le rouge est la couleur des fraises » ; « dans un feu tricolore, rouge est la couleur de la lampe supérieure »... même un daltonien doit pouvoir le reconnaître ! C’est aussi – et ce point est capital – une définition opératoire. En effet elle peut être comprise et appliquée par tous qui en ont besoin.

De manière générale, puis-je savoir si une personne est coupable en me fiant à mes propres moyens d’investigation ou à des sources d’information que je pense être fiables ? Ce n’est pas sûr... il y a de forte chances que je trompe. Posons la question dans l’absolu, sans d’abord se soucier des tribunaux et de la métamorphose qu’ils font opérer à la notion de culpabilité. La question apparaît d’emblée redoutable. Car nous sommes tous coupables à un titre ou un autre. « Si ce n’est toi, c’est donc ton frère », cette locution proverbiale veut dire que si je ne suis pas coupable directement, je le suis indirectement... ou je pourrais l’être si je ne le suis pas encore. Si je n’ai pas commis l’action criminelle, j’en ai peut-être eu l’envie. Si je n’ai pas causé l’accident, je n’ai parfois rien fait ou pas grand chose pour empêcher qu’il se produise. Dans ma conscience, j’ai donc des idées confuses. Je me sens innocent mais quand même un peu coupable. Et quand il m’arrive de me croire coupable, sans avoir pourtant commis directement de fautes, c’est que je m’attribue une part de responsabilité dans ce qui ne va pas. Confusion de la culpabilité et de la responsabilité morale, de la consience de la faute. Dans notre âme, des regrets et des remords signent notre culpabilité subjective.

Il est très hasardeux de suivre sa conscience pour connaître la culpabilité. Avec la justice moderne, rien de plus simple en revanche que de savoir si X est bien le coupable de tel crime. Il suffit de consulter le casier judiciaire de X. La solution est toute simple. On se dote d’un critère et, une fois que c’est fait, on s’y tient. Car il s’agit d’éviter les débats interminables sur la place publique. Il s’agit d’écarter les arguties, c’est-à-dire les arguments dépourvus de valeur qui ne servent qu’à troubler les esprits ! « X n’a pas été condamné, il est pourtant coupable », car il n’a éprouvé de remords durant le procès, car il a toujours eu un comportement louche, car c’est un étranger... toutes ces raisons servent seulement à justifier un préjugé ! X est innocent car il n’a pas été condamné.

Y a-t-il d’autres définitions opératoires que celles de la couleur rouge ou de la culpabilité ?

Oui, d’innombrables. Pour un physicien qui modélise un circuit électrique, une lampe « brille » quand (si et seulement si) elle est dans un circuit fermé. Elle ne brille plus quand le circuit est ouvert : soit parce que quelqu’un a appuyé sur l’interrupteur, soit parce que le filament a fondu. « Briller » n’est pas défini par rapport à nos sens – dans le monde sensible – comme étant une émission de lumière visible (car nous n’avons pas tous les même yeux) mais bien seulement de manière opératoire – en s’élevant à l’intelligible – comme le fait pour une lampe d’être placée dans un circuit électrique fermé. L’hisoire des sciences fournit quantité d’exemples qui présentent un grand intérêt. Des recherches peuvent être faites sur quelques querelles fameuses qui se sont achevées par l’établissement d’une définition générique ou opératoire, dans le domaine de la physique (exemples de la masse, de l’inertie, du vide) de la chimie (exemples de l’oxygène, du magnétisme, des réactions chimiques) de la biologie (exemples de la vie, de la cellule, de l’hérédité) ou des mathématiques (exemples du cercle, de l’infini, de la probabilité) différentes sciences où on s’efforce de procéder de la même manière, en définissant les objets non seulement pour les faire reconnaître de quelques uns mais aussi pour les bien faire comprendre de tous, universellement. Certains continuent à employer des mots vagues comme « race », « culture », « influence », « chaos » en refusant de définir rigoureusement ces objets avec les scientifiques... mais en disant détenir une vérité plus profonde ! Il s’agit de malhonnêteté intellectuelle. Méfions-nous particulièrement des pseudos notions comme « espace vital », fluide vital » etc., qui font scientifique, mais couplent deux mots non définis.

Revenons à notre question initiale. Pour le droit, toute personne reconnue coupable par le tribunal pour les crimes dont on l’a accusée est coupable. Et toute personne qui n’a pas été jugée coupable ne l’est pas. La première est coupable même quand on est certain de son innocence. La seconde n’est pas du tout coupable, même un tout petit peu. Certes, elle a peut-être été mise en examen, et il reste des doutes dans l’opinion... mais il faut faire comme si – et dire publiquement – qu’elle n’est pas coupable. Elle ne l’est pas, comme n’importe qui d’autre. Non parce que les juges l’ont décrété, mais parce que le droit a statué.
On peut signaler, au passage, la nécessité de recourir à d’autres principes encore, les plus fondamentaux sans doute, ceux de la logique - identité, non contradiction et tiers exclu : « une chose, considérée sous un même rapport, est identique à elle-même » « les propositions p et non-p ne peuvent être simultanément valides, c’est-à-dire que la conjonction « p et non-p » est fausse », « l’une ou l’autre parmi cette proposition p et sa négation non-p est vraie, c’est-à-dire que la disjonction « p ou non-p » est vraie ». La culpabilité juridique, par opposition à la culpabilité morale, ce n’est pas une question d’opinion. Le tribunal tranche pour tout le monde, les jeunes et les vieux, les sceptiques et ceux qui ont toujours confiance, les parents de la victime et ceux de l’accusé... Et cette universalité a une grande vertu ; elle empêche les justiciers de croire qu’ils auraient raison de faire justice eux-mêmes dans le cas où le jugement d’un tribunal ne leur plairait pas ! Le droit redéfinit la culpabilité et l’innocence en substituant sa justice procédurale à la vengeance des hommes.

partie 4

Seconde partie du cours de philosophie

Voltaire ironise en parlant de demi-preuve, de quart de preuve, dénonçant ainsi la fragilité de la justice de son époque. Toute justice venant des hommes est faillible. Comment prouver l’innocence ou la culpabilité d’un accusé à partir de la parole des témoins ? Faut-il s’appuyer sur des soupçons ou s’efforcer de se préserver des rumeurs ?

L’affaire Calas

Parmi la pléthore de ressources en ligne :

Très bref résumé de l’affaire Calas, ses points saillants

Une condamnation à mort injuste, sur fond d’intolérance religieuse et de rumeurs. Des années plus tard, Voltaire obtient la réhabilitation du malheureux Jean Calas, au grand soulagement de sa famille.

Différents regards sur la justice

La France de Voltaire est très différente de la nôtre, pour ce qui est des conditions de vie, mais aussi des mentalités. En quelques siècles la culture a changé du tout au tout. Nous sommes étrangers à ces Français du XVIIIe siècle qui se comportent pour nous d’une manière bizarre, voire fondamentalement déraisonnable.

La pratique de la torture dans le cadre de la justice était admise par la majorité des sujets du Roi. Presque aucune voix ne s’élevait contre cette pratique pourtant cruelle et dévastatrice. Les plus critiques réclamaient souvent, non qu’elle soit abolie, mais qu’elle soit appliquée avec discernement, pour les criminels les plus endurcis et irrécupérables. Mais un jugement hâtif est toujours mauvais, quel qu’en soit le thème, surtout quand celui qui juge croit discerner de la barbarie dans une autre société que la sienne, dans une autre société que la sienne ! Il faut se méfier de la manière dont nous plaquons des valeurs sur des réalités que nous ne connaissons pas bien, de fait, et que nous croyons pourtant connaître.

Remarquons plusieurs choses pour mettre en perspective cette idée de la barbarie des temps anciens, en particulier de sa justice. Premièrement, le goût pour une justice cruelle n’a pas été radicalement extirpé de l’opinion publique française. Aujourd’hui, bien peu s’émeuvent par exemple de conditions de détention pénibles pour les criminels... car dit-on « ils l’ont bien mérité ». Deuxièmement certains pays développés continuent de pratiquer la torture, à titre extraordinaire. Certes ils fixent alors des limites juridiques, par exemple ils préfèrent des tortures raffinées à des tortures brutales, qui mutilent les corps. Les U.S.A sont un bon exemple de pays qui continue de pratiquer légalement la torture. Défendant le régime d’exception de la base de Guantanamo, les élus du peuple, les hommes politiques de premier plan, relaient complaisamment des idées aussi déraisonnables que « la fin justifie les moyens » ou encore « on ne fait pas d’omelettes sans casser des oeufs »... Quand nous procédons à des comparaisons entre hier et aujourd’hui, il faut donc une grande méfiance. Un sentiment de dégoût ou de rejet est toujours à relativiser. Pensons encore à cette maxime « il faut balayer devant sa porte », ne pas se targuer d’être plus civilisé que les gens du passé.

Si l’on fait maintenant un détour par l’histoire des sciences, on ne peut manquer de soulever la question de l’étrangeté des mathématiques pratiquées par nos ancêtres ! Leur science est étonnante à plus d’un titre, comme élaboration de la physique qui contient des développements sur l’astrologie, pratique de la chimie qui s’apparente à celle de l’alchimie, mais aussi comme science mathématique qui a ses particularités propres, sa pratique pour nous exotique, ses problèmes qui ont été résolus ou ne se posent plus. Il va sans dire que les mathématiciens du XVIIIe n’avaient pas à leur disposition un certain nombre d’outils et qu’ils ignoraient beaucoup de choses par rapport à nous. Mais ce qui étonne davantage est qu’ils ne maîtrisaient pas ou n’utilisaient pas certains raisonnements : des façons de démontrer comme la récurrence, des domaines entiers étaient peu explorés et commençaient à peine à se développer, comme les probabilités. Leurs livres de mathématique diffèrent des nôtre, les notations n’étant pas les mêmes, de même que certaines manières de rédiger. Mais devant un traité de mathématiques de l’époque, trouvé dans les rayons d’une bibliothèque ou sur Gallica, nulle personne aujourd’hui ne peut douter qu’il s’agisse bien d’un traité de mathématiques ! Car il y a certaines choses qui ne trompent pas. À un mathématicien contemporain il faudrait fournir des efforts pour comprendre ce qui y est dit... il faudrait aussi réapprendre certaines choses (calculer avec un abaque par exemple) et faire un effort pour s’adapter au style de l’époque, mais cet effort ne serait pas du tout insupportable. Il s’agirait de s’habituer à une autre façon de faire. Mais de faire fondamentalement la même chose.

Nous nous étonnons de la justice de la monarchie française du XVIIIe siècle. Examinons-la avec soin et sans idée préconçue, sans supposer qu’elle manque radicalement de « justice ». Utilisons une sorte de « principe de charité » comme l’historien qui, pour comprendre une société du passé, essaie de se mettre à la place des hommes de cette époque révolue et de donner le plus de sens possible à ce qu’ils font. D’abord, voyons les conceptions de la justice et leur différence par rapport à notre idée commune d’une justice forcément laïque et républicaine. Sans bien sûr supposer que nous sommes meilleurs ou fondamentalement plus justes que nos ancêtres ! Ensuite, regardons quelles sont les procédures qui sont utilisées au XVIIIe siècle pour rendre justice, c’est-à-dire traduire en acte cette idée de justice qui dominait les esprits à l’époque.

L’idée de justice

Elle diffère sensiblement de la nôtre. En effet, elle est rendue au nom du Roi et pas de la société. Le Roi est censé être un père pour tous ses sujets. Sa justice est par nature paternaliste. La nôtre s’efforce de ne pas l’être ! Car le paternalisme est considéré au mieux comme une forme de tyrannie douce, pas comme une véritable défense des droits de tous les citoyens. De plus, le Roi est le garant de la religion, une sorte de vicaire. Il doit donc veiller sur la sécurité des corps mais aussi sur les âmes de ses sujets. La justice du XVIIIesiècle a une composante religieuse qu’elle n’a plus aujourd’hui.

Les procédures de justice

Les magistrats ne disposent pas de moyens comme des fichiers informatisés, des photographies ou des enregistrements vidéos de caméra de surveillance, des relevés d’empreintes ou bien des analyses d’ADN. Bref, au XVIIIe siècle il est très difficile d’établir la culpabilité de quelqu’un ! Il ne faut pas s’étonner si, par conséquent, la justice fonctionne presque exclusivement par le recueil de témoignages (dénonciations) et d’aveux (pas toujours librement consentis). Cela se traduit par le choix de certains principes de procédure. Montrons-le.
Puisque l’aveu est essentiel, la justice interdit le recours à un défenseur professionnel, ce que nous appelons un avocat. Il faut que l’accusé lui-même soit face aux juges et qu’il engage devant eux sa parole. On accepte donc comme une fatalité une inégalité dans le talent oratoire, l’art de la parole, le fait que certains accusés n’arrivent pas à bien se défendre, parce qu’ils sont moins habiles dans le maniement des mots, parce qu’ils ont moins de culture... Si Dieu soutient l’accusé, parce qu’il est innocent, il peut lui donner les moyens de se défendre et de trouver les mots justes pour toucher les juges. L’idée que la défense est une affaire personnelle qui ne se délègue pas est loin d’être en soi absurde. Elle a ses justifications et ses limites ! L’idée qu’un coupable doive nécessairement avouer lui-même son crime est de même, en apparence, très raisonnable. Un détail de procédure permet de mieux comprendre la différence entre la justice d’hier et d’aujourd’hui. Lors d’un interrogatoire un magistrat de l’époque pouvait mentir. Ce n’est pour lui aucunement une félonie. C’est même presque un devoir, car il lui faut faire avouer l’accusé, le pousser à l’aveu. Il peut ainsi mentir en disant qu’un complice a déjà avoué et l’a désigné nommément et qu’il ne sert à rien de s’obstiner... Notre procédure criminelle ne le permet pas ! Un juge n’a pas le droit de mentir pour connaître la vérité. Non pas parce que nous haïssons davantage le mensonge que nos aïeux, mais parce que cela ne correspond à la logique de notre système judiciaire. Et parce que, pragmatiquement, ce n’est plus aussi nécessaire qu’auparavant. Demeure néanmoins une place à l’aveu, plus ou moins spontané, par exemple pour obtenir une peine moins lourde à l’audience !

Les témoignages sont comme aujourd’hui des éléments importants de l’enquête. Mais la logique de leur utilisation diffère. Dans notre système un témoignage n’est pas une preuve, sauf si la personne qui le produit est assermentée. Dans le cas du témoignage d’une personne qui n’est pas assermentée, c’est un élément permettant d’établir la vérité, qui ne doit pas être considéré a priori comme probant. Il appartient au tribunal d’établir le degré de confiance qu’il doit accorder à tel témoignage, sans qu’aucune règle ne s’applique de manière mécanique. Par exemple il n’y a pas de coefficient de validité par rapport à l’âge. Un tribunal peut considérer comme probante la parole d’un enfant, refuser celle d’un adulte, et même celle d’un vieillard ! Ainsi le témoignage reste un élément de preuve, à prendre en compte, même s’il ne vaut pas en tant que tel comme preuve ! Des procédures spéciales comme la confrontation devant le juge, la reconstitution des faits sur les lieux du crime, l’établissement d’un portait-robot par un témoin ou bien l’identification d’un suspect au milieu d’une cohorte de personnes (glace sans tain, recours à des figurants crédibles) ont été rationalisées afin d’être plus probantes... ou moins aléatoires, c’est-à-dire statistiquement injustes pour les mis en examen. Concluons. Sous la monarchie de Louis XIV, la procédure du recueil des témoignages a, de même qu’aujourd’hui, sa propre logique... et de fait ses propres limites : http://ledroitcriminel.free.fr/la_l...

Voyageons en pensée pour rejoindre le XVIIIe siècle. Beaucoup de choses peuvent nous étonner comme la possibilité de faire directement témoigner les enfants ou l’importance accordée à la prestation de serment. D’autres nous semblent plus familières comme le fait de porter à l’écrit les témoignages par un greffier ou bien le recueil de plusieurs témoignages en isolant les témoins les uns des autres. Comme ceux qui l’ont précédé, le code de procédure en vigueur exige plusieurs témoins concordants pour qu’un crime soit attribué. Contre une personne accusée, deux personnes au moins doivent porter des témoignages qui se recoupent sur les points essentiels. Il s’agit en effet de prendre en compte la propension des êtres humains à dénoncer d’autres personnes, surtout s’ils y ont un quelconque intérêt ! Le pouvoir politique recourt fréquemment au recueil de témoignages qui sont en fait des rumeurs. Il encourage même la dénonciation, dans le cadre des monitoires. Certes, comme dans le cas de nos procédures de police, des garde-fous ont été prévus à l’avance... et pas toujours respectés. Par exemple, il y a une relative protection de l’accusé par le secret de l’instruction. Dans le cas d’un monitoire, le nom des accusés n’est pas fourni à la populace ! On demande seulement à tous ceux qui ont entendu quelque chose au sujet d’un crime de venir le dire aux autorités. En théorie, du moins ce n’est pas une forme de lynchage médiatique.

Avec le monitoire qui est lu à l’Église mais aussi la simple prestation de serment, sur la Bible, on perçoit bien une autre caractéristique de la justice d’ancien régime, la place capitale qui occupe le sacré, le pouvoir religieux. Il s’agit de l’héritage de la vieille justice des Francs, pour qui l’ordalie était une pratique normale. Les gens d’alors étaient convaincus qu’ils mettaient leur âme en péril en osant mentir sous serment. Déposer, donner un témoignage authentique, se rapproche de la pratique de la confession devant Dieu. Et les honnêtes gens sont censés en tirer un bénéfice spirituel. Répondre à une demande de délation, c’est considéré comme un devoir de chrétien.

3. Que veut dire sa phrase « une légère connaissance de l’art de raisonner suffirait pour leur faire prendre une autre méthode » ?

Reprenons le texte de Voltaire extrait du Traité sur la Tolérance, chapitre XXV : « J’apprends que le Parlement de Toulouse et quelques autres Tribunaux ont une Jurisprudence singulière ; ils admettent des quarts, des tiers, des sixièmes de preuve. Ainsi, avec six oui-dires d’un côté, trois de l’autre, & quatre quarts de présomption, ils forment trois preuves complètes ; & sur cette belle démonstration, ils vous rouent un homme sans miséricorde. Une légère connaissance de l’art de raisonner suffirait pour leur faire prendre une autre méthode. Ce qu’on appelle une demi-preuve, ne peut être qu’un soupçon : il n’y a point à la rigueur de demi-preuve ; ou une chose est prouvée, ou elle ne l’est pas ; il n’y a point de milieu. »

L’absence de miséricorde est soulignée, donc la cruauté des juges. Le ton est ironique, Voltaire se moque des preuves « complètes » et des « belles démonstrations » produites par les tribunaux. Le tribunal de Toulouse est directement visé. L’allusion au supplice de la roue est une allusion à la condamnation injuste de Jean Calas qui est presque transparente, tant l’affaire avait fait de bruit à l’époque parmi les gens instruits auquel le traité s’adresse.
Le passage fait jouer une opposition entre deux types de discours : tout ce qu’on peut entendre dans une ville, tout ce qui est véhiculé comme idées, sentiments ou jugements de valeur par l’opinion publique ce que le savant est capable de produire comme discours de vérité. Le premier type de discours est la connaissance par ouï-dire, que Voltaire réduit à un ensemble de présomptions. Ce dernier terme convient effectivement, car cette connaissance n’est pas une connaissance approchée ou simplifiée mais bel et bien une pure croyance. Il faut sans doute aussi faire jouer l’opposition du vrai et du vraisemblable. La connaissance par ouï-dire est au mieux appréhension du vraisemblable à un moment donné, mais pas de la vérité ! Le second type de discours est la démonstration. Pour former une démonstration il faut s’abstraire du fait simplement vraisemblable, de tout ce qui n’est pas nécessaire mais hypothétique, qui n’est pas essentiel mais accidentel.

L’art de raisonner évoqué par le penseur des Lumières est donc celui du raisonnement rigoureux en ce qu’il s’efforce de produire un jugement qui est issu d’un travail de démonstration. Mais en quoi la justice peut-elle être démonstrative ? Après tout, les juges de n’importe quel tribunal, comme les hommes du Parlement de Toulouse qui ont condamné Calas à mort, ne sont ni des mathématiciens, spécialistes de démonstration, ni des savants, excepté dans le domaine du droit ! La justice est démonstrative si elle refuse de se laisser entraîner par des jugements hâtifs, des preuves approximatives, une collection de rumeurs : « des quarts, des tiers, des sixièmes de preuve ». Voltaire reproche quelque chose de très grave aux juges de Toulouse, quelque chose de plus grave encore que la simple incompétence ou méconnaissance du droit. Il leur reproche d’être sous influence ! Ces juges ont hélas pour « jurisprudence » (ou pratique de la justice) l’habitude de donner à la foule les coupables qu’elle désigne. Quand, par haine de l’hérétique (celui qui professe un autre dogme, adhère à autre foi) la foule déteste a priori l’individu Calas (d’une autre confession) et fait courir des rumeurs sur son compte, jugeant qu’il est vraisemblable qu’il soit un assassin parce qu’il n’est pas catholique, le tribunal lui fourni illico son coupable ! Il y a donc confusion du jugement de la rue et du jugement judiciaire. La justice se mue en vengeance aveugle. À l’inverse, une bonne justice doit reposer sur ce fondement de la pensée dépourvue de préjugés : un recueil purement objectif des charges, un établissement rigoureux des preuves distinguant ce qui est possible (vraisemblable) et ce qui est réellement établi (véritable) enfin un verdict impartial prononçant la peine prévue par la loi et pas une autre. Pour ces différentes tâches, le tribunal doit rester impartial, se couper de la rue, se défier des rumeurs qui circulent. Et il doit se prémunir contre les passions qui peuvent s’agiter en son sein. Bref, il doit devenir autonome dans son jugement.

Contre la justice perverse du Parlement de Toulouse, la méthode de raisonnement suggérée par Voltaire est précisément la responsabilité et l’autonomie du jugement judiciaire. Descartes, dans l’histoire de la philosophie, est resté comme le promoteur de cette méthode, qui suppose l’usage systématique du doute, la construction de la vérité à partir de principes, d’idées « claires et distinctes », par une chaîne de déductions nécessaires.

Êtes-vous d’accord avec Voltaire quand il affirme « une chose est prouvée, ou elle ne l’est pas ; il n’y a point de milieu » ?

Les juges critiqués par Voltaire ne sont pas du tout cartésiens. L’adjectif signifie aujourd’hui deux choses. Au sens strict, est cartésien celui suit la pensée philosophique de Descartes. Au sens large, le cartésien est celui qui cherche à faire triompher la raison contre tous ceux qui par intérêt ou par folie raisonnent sans rigueur, professent avec force des idées confuses, multiplient même les affirmations contradictoires.

Est-ce être raisonnable que de dire qu’une chose est prouvée ou qu’elle ne l’est pas ? Certes. Mais peut-on ajouter qu’il n’y a pas de milieu ?

Une actualité juridique et scientifique nous permet de réfléchir plus avant cette question de la preuve et de la non-preuve : la prise en compte par les tribunaux d’une signature vocale. Dans certaines enquêtes judiciaires des enregistrements sonores sont utilisés comme éléments de preuve. Il peut s’agir d’enregistrements de voix ou bien de conversations téléphoniques. Se pose alors la question de l’identification de la voix. S’agit-il de la voix du suspect ou bien de son frère ou bien de celle d’un inconnu ? On peut se faire une idée à l’oreille, en entendant successivement la voix enregistrée et la voix du suspect, mais ce n’est pas probant. D’où le recours à une expertise scientifique. Le scientifique traite le signal, obtient des courbes de fréquences, repère sur des diagrammes la récurrence de fréquences significatives et peut finalement donner une réponse... qui a une valeur objective mais statistique, probabiliste ! La réponse donnée n’est jamais oui ou non, mais « il y a des chances », « de fortes chances », « peu de chances », « très peu de chances » ; « presque aucune chance ». Plus précisément, dans le cas des reconnaissances vocales réalisées en laboratoire, les scientifiques utilisent une échelle. Quantification de la réponse, de - 4 (« extrêmement peu probable » à + 4 (« extrêmement probable »).
Voici un cas récent, un scientifique expert des tribunaux reçoit un enregistrement de conversation téléphonique et un échantillon de voix d’un individu mis en examen. On lui demande de dire s’il s’agit de la même personne. L’expert répond en utilisant son échelle. La concordance des voix est de +2. Est-ce une preuve au même titre que d’autres preuves (aveux, témoignage d’un policier, découverte de l’arme du crime, d’une empreinte digitale ou d’un fragment d’ADN correspondant au patrimoine génétique du suspect) ? Non. Pourquoi ? Que veut dire +2 ? Certes, ce n’est pas –2, encore moins –4 ! Mais ce n’est pas +4... Le scientifique a dû faire ses mesures à partir d’un enregistrement qui a des défauts : la voix est noyée dans le bruit ambiant ; le signal vocal a été transformé par le téléphone puis par l’’appareil qui a servi à faire l’enregistrement. De plus, chez un même individu, la voix humaine n’est pas toujours pareille... et chacun peut, s’il le veut, modifier sensiblement sa voix... Bref, il y a tant d’incertitudes que +2 n’apparaît pas comme une preuve. Est-ce donc une demi-preuve puisque 2 est la moitié de 4 ?

L’opinion serait encline à le croire, mais pas l’expert. De tels résultats convainquent l’opinion, pas le scientifique. Ils ne sont pas vraiment probants, dans le cadre d’une interprétation rigoureuse des résultats prenant en compte l’incertitude. La mesure qui a été effectuée n’est d’ailleurs pas celle d’une empreinte vocale, comme on l’entend parfois dire, mais seulement d’une signature vocale. Une empreinte digitale est singulière, pas une signature vocale qui peut être partagée par différentes personnes ; une empreinte digitale ne peut pas être modifiée ou imitée, une signature vocale, si ! Dans le cadre de l’examen de charges contre une personne effectué par un tribunal, une telle mesure ne devrait jamais servir de preuve mais seulement d’élément d’enquête, en particulier dans les enquêtes délicates, pour lesquelles il n’y a guère d’espoir de trouver d’autres éléments probants. Exemple, exploiter des enregistrements pour relancer l’enquête d’un vieux dossier, comme l’affaire du petit Grégory.
Cf. « La Tête au carré » de Mathieu Vidard, émission du vendredi 22 mars 2013 avec Nancy Bertin, Chargée de recherches en traitement du signal audio au CNRS à l’IRISA (Institut de Recherche en Informatique et Systèmes Aléatoires). Thème : « La reconnaissance vocale est-elle scientifiquement fiable ? »
Et un article de « Lyon Capitale.fr » sur la preuve imparfaite (dans le système de la « preuve libre ») qu’est la reconnaissance vocale.

Informations supplémentaires sur les preuves imparfaites dans le droit contemporain

Ce sont celles dont la force probante est limitée (le juge est libre vis-à-vis de son appréciation). Elles ne peuvent être utilisées qu’en régime de preuve libre, donc pour prouver des faits juridiques ou encore lorsque l’acte juridique n’est pas soumis à la preuve parfaite pour être démontré, litiges ne s’élevant pas au-delà de 1 500 euros et en régime de preuve légale lorsqu’un commencement de preuve par écrit a été fourni (comme un acte sous seing privé non valide ou encore des doubles d’actes juridiques sous forme de photocopies). En ce qui concerne les enregistrements téléphoniques, ils ne sont pas admis comme mode de preuve si la partie adverse n’a pas été tenue au courant de leur enregistrement. Ainsi, le fait d’avoir enregistré une conversation téléphonique à l’insu de quelqu’un peut se retourner contre la personne auteur de l’enregistrement, qui peut se voir poursuivie et condamnée. Cette solution a été confirmée dans un arrêt de la 2e chambre civile de la Cour de cassation du 7 octobre 2004. En revanche, le SMS comme mode de preuve est accepté par un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 23 mai 2007 car le SMS a vocation à être conservé dans un téléphone. Ce mode de preuve n’est pas conforme à l’égalité des armes entre les parties. http://fr.wikipedia.org/wiki/Preuve...çais

Remarques : Cet exemple est intéressant pour évoquer la modélisation, l’adoption d’un mode de raisonnement en termes de probabilités, la fabrication d’estimation et de prévisions par un expert, la quantification de certains phénomènes. On retrouve avec lui l’efficacité paradoxale des mathématiques qui ont été créées dans un but non utilitaires et qui trouvent un jour différentes applications vraiment surprenantes.

L’étude des fréquences sonores trouve aussi une application sur la banquise... pour y découvrir le mode de communication des familles de manchots ! http://www.futura-sciences.com/fr/d...

« Affaires “Cahuzac” et “Grégory” : les voix à l’épreuve de la vérité », par Leslie Agnanostopoulos

L’affaire « Cahuzac » connaît un nouveau rebondissement grâce à l’expertise de l’enregistrement sonore que réalise la police scientifique d’Écully (69) depuis le début du mois de janvier. Dans le même temps, à Rosny-sous-Bois, c’est l’affaire « Grégory », datée de 1984, qui pourrait rebondir grâce, là aussi, à l’expertise sonore de la voix du corbeau. Mais, si la technique est très sophistiquée, le résultat n’est pas fiable à 100%.

Les deux affaires n’ont rien en commun mais pourraient connaître un nouveau rebondissement grâce à… la reconnaissance vocale. La première expertise est sur le point de se terminer à Lyon. Les techniciens de la police scientifique d’Écully analysent la fameuse bande sonore qui mettrait en cause le ministre du Budget, Jérôme Cahuzac, sur la détention d’un compte non déclaré chez UBS, en Suisse. Un peu plus de trois minutes d’enregistrement datant de 2000, dans lequel Jérôme Cahuzac aurait déclaré : « Ça me fait chier d’avoir un compte ouvert là-bas, l’UBS c’est quand même pas forcément la plus planquée des banques. » L’enregistrement, révélé au public par le site Mediapart début décembre, fait depuis l’objet d’une enquête préliminaire, ouverte à la demande du parquet de Paris, pour blanchiment de fraude. Elle porte sur l’authenticité de la cassette, le support et les comparaisons vocales. Selon Mediapart, qui publiait l’information vendredi 15 mars, les experts auraient authentifié la cassette et la voix du ministre.

« Mettre un nom sur la voix du corbeau » : la seconde expertise est très discrètement en cours à Rosny-sous-Bois, en région parisienne, chez d’autres experts scientifiques. Elle concerne l’affaire du « petit Grégory », découvert noyé, pieds et poings liés, dans la Vologne, le 16 octobre 1984. Près de trente ans après les faits, la justice a décidé de rouvrir l’enquête. « Nous voulons mettre un nom sur la voix du corbeau », nous a indiqué Jean-Marie Beney, le procureur de Dijon, dont la chambre de l’instruction a ordonné, en 2012, les nouvelles expertises. Plusieurs cassettes d’époque correspondant aux enregistrements des journalistes ont été récupérées à l’Institut National de l’Audiovisuel (INA) où elles étaient soigneusement conservées. Elles ont ensuite été envoyées au laboratoire parisien pour les comparer aux bandes sonores de la voix du corbeau enregistrées par la famille Villemin, lors de nombreux appels malveillants, quelques mois avant la mort du garçonnet de quatre ans.

Logiciel Batvox : dans les années 1980, deux expertises ont tenté une reconnaissance vocale dans cette affaire. En vain. « Les techniques n’étaient pas assez élaborées et les enregistrements sont de très mauvaise qualité », confie Laurence Lacour, ancienne journaliste d’Europe 1 qui a couvert l’affaire jusque dans les années 2000. Mais les techniques évoluent, et le logiciel Batvox, créé par des chercheurs espagnols, a fait ses preuves du côté de la Guardia Civil où il a permis de confondre plusieurs criminels, dont des membres de l’ETA. Dans l’affaire Cahuzac comme dans l’affaire Grégory, c’est aussi Batvox qui est utilisé par les experts de la police scientifique. Bruits de fond Batvox peut-il permettre de connaître la vérité ? « Le principe de ce logiciel est basé sur de la statistique, explique Nancy Bertin, chercheuse à l’Institut de Recherche en Informatique et Systèmes Aléatoires (Irisa, Rennes). Un premier échantillon de voix va servir de »référence« pour construire un modèle statistique basé sur les fréquences de voix, la vibration de l’air, etc. Avec un deuxième échantillon de voix »test« , on va essayer de calculer avec quelle probabilité ce nouvel échantillon a été produit par le modèle. » Dans le cadre de l’affaire Grégory, les enregistrements des journalistes serviront de voix de « référence », la bande sonore du corbeau sera la voix « test ». « Les analyses peuvent prendre beaucoup de temps car, plus les enregistrements sont nombreux, plus les comparaisons sont longues, poursuit Nancy Bertin. Il faut aussi isoler les sons, enlever les bruits de fond… » « La voix est une signature » Mais les résultats ne sont pas fiables à 100%. « Contrairement à l’ADN, qui est une empreinte unique et non évolutive, prévient la chercheuse, la voix est une signature. Deux personnes peuvent avoir le même timbre de voix, la voix peut changer dans le temps et elle est aussi modifiable. En matière judiciaire, la reconnaissance vocale n’est donc pas une preuve irréfutable pour l’identification d’une personne. À cause d’un bruit de fond ou d’un micro différent sur les deux bandes sonores, le contenu fréquentiel peut être modifié. La technique a beau être très sophistiquée, elle ne permet, selon moi, que d’orienter une enquête quand on ne sait plus où chercher. »

Marge d’erreur : « En revanche, dans le cas de l’affaire Cahuzac, note Nancy Bertin, les conditions sont moins difficiles, car il n’est pas besoin de comparer la voix avec plusieurs personnes. Il ne s’agit pas d’une identification, mais d’une vérification. On cherche simplement à savoir si c’est bien M. Cahuzac qui a parlé. Le résultat est sans doute plus fiable, mais il existera toujours une marge d’erreur. » Il n’empêche qu’en matière de droit pénal la preuve est libre. Le procureur de Paris, François Molins, pourra donc décider de l’ouverture d’une information judiciaire pour élargir les investigations au plan international : http://www.lyoncapitale.fr/Journal/...

3. a) Le terme « soupçon » a plusieurs sens : opinion défavorable, doute, simple conjecture, très faible quantité de quelque chose. Cent mille soupçons, n’est-ce pas quasiment une preuve ? Et, si cent mille personnes soupçonnent la même chose, peuvent-ils tous avoir tort ? L’objet de leur soupçon commun peut-il être considéré comme douteux ou même erroné ?

Relisons aussi attentivement la suite du texte : « Cent mille soupçons réunis ne peuvent pas plus établir une preuve, que cent mille zéros ne peuvent composer un nombre. Il y a des quarts de ton dans la Musique, encore ne les peut-on exécuter ; mais il n’y a ni quart de vérité, ni quart de raisonnement. Deux témoins qui soutiennent leur déposition sont censés faire une preuve ; mais ce n’est point assez : il faut que ces deux témoins soient sans passion, sans préjugés, & surtout, que ce qu’ils disent ne choque point la raison. »

Voltaire utilise le nombre « cent mille » de manière symbolique pour signifier une grande quantité. Remarquons que les nombres pouvant signifier l’abondance dépendent en fait de la nature de la chose considérée et de la personne qui imagine cette chose. Un astronome devant qui on évoque cent mille étoiles ne sera sans doute pas très étonné, de même que le président de la Française des Jeux à qui on parlerait de cent mille joueurs n’ayant pas gagné au loto. Mais si l’on évoque, devant le premier, cent mille exoplanètes détectées récemment ou bien, face au second, cent mille gagnants du gros lot la même semaine, alors l’étonnement voire de l’effarement devraient poindre ! Dans certains cas, des nombres comme 4 ou 5 peuvent être de grands nombres. Dans d’autres cas des nombres comme cent mille ou un million ne le sont pas. 4 ou 5 accidents nucléaires, c’est énorme... un milliard de grains de sable sur la plage, c’est ce que contient un seau, à peine... À partir de ces exemples, on peut établir la relativité des nombres qui n’ont pas de valeur dans l’absolu.

Qu’en est-il de certains nombres dans le domaine judiciaire ? Quinze fautes d’orthographes dans une copie, est-ce vraiment beaucoup ? Un crime et un seul, c’est terrible ; c’est toujours un crime de trop... et dans l’énoncé « X a commis un crime », le déterminant considéré comme valeur numérique renvoie à quelque chose d’absolu. Dix passants sur un trottoir, c’est un petit nombre de gens. Mais dix témoins du crime qui vient d’être commis, c’est un grand nombre de témoins ! Rares sont les affaires où il y a autant de personnes pouvant témoigner et faire avancer l’enquête. Pourquoi donc refuser que cent mille soupçons fassent une preuve ?

Il faut le faire en raison de ce qu’est un soupçon, d’abord. En raison de la nature humaine ensuite. En raison de notre façon commune de raisonner enfin ! un soupçon, nous dira-t-on, c’est une petite quantité négligée à cause de sa petitesse. Or une grande somme de choses négligées n’est pas forcément négligeable ! Un grand nombre de dépositions imprécises serait ainsi un faisceau de petits faits sur lesquels s’appuyer pour établir un fait. Répliquons qu’un soupçon c’est une absence de preuve... Comme on ne remplit pas une bouteille avec des verres vides, on ne fait pas une preuve avec une accumulations de rumeurs. La nature humaine a une tendance à l’illusion, c’est-à-dire à croire certaines choses sous le coup d’un désir. Et une tendance à l’imitation. Quand dans une salle une personne applaudit, la foule le suit et se met à applaudir. De même quand une personne se dit convaincue de la culpabilité d’une personne, elle en entraîne d’autres à sa suite. De même, dans une foule, les témoins peuvent se multiplier presque miraculeusement par un effet d’entraînement. S’il y a beaucoup de témoins qui fournissent un témoignage convergent, avec des variantes, cela semble normal. Si en revanche tous les témoins fournissent exactement le même témoignage, c’est suspect : on peut faire l’hypothèse d’une entente préalable. Les témoins diraient ce qu’on leur a demandé de dire. Cent mille soupçons, ce n’est donc pas à négliger : il faut en tenir compte comme l’indice du fait qu’une rumeur est en train de circuler et de contaminer la population ! Des dépositions qui ne sont pas imprécises mais bel et bien tendancieuses, orientées, ignorantes n’aboutissent pas à l’établissement d’un fait mais à la confirmation d’un préjugé ! Celui qui veut croire trouvera dans des soupçons recueillis ici et là de quoi renforcer sa conviction mais celui qui se méfie de lui-même et de ses préjugés devra considérer une avalanche de soupçons qui s’accumulent comme des tentations de croire en la culpabilité de quelqu’un avant même qu’il soit juger. Non comme des pièces d’un puzzle que comme un fragile château de cartes qu’un rien peut faire s’effondrer ! Dans un tribunal, le soupçon est donc une chose des plus délicates, à recueillir pour un juge, à exprimer aussi, pour un témoin s’il a conscience de sa faillibilité !

b) Quand deux témoins rapportent les mêmes faits, le tribunal peut considérer leur déposition comme une preuve. Peut-on en déduire qu’un seul témoin apporte une demi-preuve ?

Un témoin apporte toujours à l’enquêteur une aide précieuse. Mais quel crédit accorder au témoignage dans le cadre d’un procès ? L’expérience « témoigne » elle-même de nombreuses erreurs de la part de témoins très honnêtes, modérément honnêtes, influencés ou carrément sans scrupules. Des témoignages ne sont pas fiables pour toutes sortes de raisons.

Un témoin plus un autre témoin qui confirme ultérieurement le premier témoignage, cela apparaît comme une forme de confirmation du témoignage. Une addition de témoignages. Pas vraiment l’authentification du premier, mais une raison supplémentaire de lui faire confiance. La jurisprudence de l’Ancien régime impose qu’il y ait deux témoins au moins dont le témoignage se recoupe pour que le tribunal accepte l’ensemble comme une preuve. Alors effectivement la responsabilité du témoignage se répartit sur les deux chefs (les deux têtes ou personnes portant témoignage). Mais, bien sûr, cela ne veut pas dire que chacun apporte isolément une demi-preuve. Le caractère probant de la preuve tient au fait que les témoignages s’articulent...

Pour certains actes civils, on continue d’utiliser des témoignages, avec le principe de la pluralité. Comme pour les actes de mariage, les actes de notoriété, les testaments.

Complément

Dans d’autres codes juridiques archaïques (datant d’une époque où l’écrit n’est pas répandu), la pluralité des témoins est également un principe de justice. Pour le code de la Charia ou loi islamique, différents crimes (adultère, vol, blessure) réclament un nombre précis de témoins, 4 ou 2, une fois enlevé le nombre de témoins à décharge. Cette arithmétique des témoignages demeure quelque chose de délicat à effectuer.

Question supplémentaire : si ce n’est pas le cas, un témoignage isolé a-t-il vraiment de la valeur ?

Oui bien sûr. Mais le droit moderne se méfie par principe des rumeurs – ce qui entre dans la catégorie de l’information indirecte par ouï-dire et a bien des réticences envers le témoignage sous serment. « Chat échaudé craint l’eau froide » comme le suggère le proverbe.

Voici quelques détails sur les procédures juridiques concernant des dettes reconnues par témoignage : à l’exception de la preuve portant sur les conventions mettant en jeu des montant modestes, ou parce que dans les relations de famille, il n’est pas d’usage qu’elles fassent l’objet d’un écrit, l’admissibilité de la preuve testimoniale est subordonnée à la constatation par le juge, que la créance qui fait l’objet du différend n’excède pas 800 € depuis le 1er janvier 2002. En revanche, bien que les intérêts en jeu excèdent cette somme, ce type de preuve reste cependant recevable lorsque celui auquel elle incombe dispose d’un écrit même si la preuve est incomplète. On se trouve alors devant un « commencement de preuve par écrit » : http://www.dictionnaire-juridique.c...

c) Si trois, quatre, cinq ou plus encore témoins apportent toujours le même témoignage, est-ce que la preuve se renforce ? Jusqu’à quel point ? Question supplémentaire : la preuve produite par deux témoignages seulement est-elle solide ?

Cela semble logique... plus le nombre de témoignages est grand, plus grande est la force de la parole. Et moins il y a de témoins, moins leur voix se fait entendre.... On retombe toutefois dans les questions précédemment soulevées. Qu’est-ce, dans un domaine donné, qu’un grand nombre, un nombre « important », « considérable », « significatif » ?

Un grand nombre de tasses de café bues par jour commence à 4 ou 5, de cigarettes à 10 ? Tous ces nombres sont bien évidemment relatifs au point de vue et sont donc très discutables. Cinq témoins racontant à peu près la même histoire, c’est énorme... s’ils ne se connaissent pas et ont été témoins d’un fait pour des raisons très différentes (l’un faisait son footing, l’autre peignait un mur, le troisième allait à l’école...). Mais s’il s’agit de cinq camarades sortant en même temps du café et disant avoir vu la même chose, les cinq témoignages ne valent quasiment plus qu’un ! Qu’est-ce qu’une preuve dans le domaine judiciaire où règne la présomption d’innocence ? Un seul témoignage suffit à accabler un accusé... une foule de témoignages peut faire penser à un coup monté contre une personne ou bien encore à un déversement de haine contre un bouc émissaire...
Enfin, que suggère la question supplémentaire en mettant en cause la validité de la parole non d’une mais de deux personnes ? Revenons au cas du mathématicien, se fiera-t-il à la parole d’un collègue pour savoir si un théorème est juste ou si tel résultat est démontré ? Se fiera-t-il même à l’avis général ? La réponse est clairement non.

Et dans le cas de la justice ? Le témoignage est une preuve ou une parole prêtée sous serment qui peut être considéré comme tel, par un juge, dans un cadre juridique donné. Par opposition aux indices matériels que les experts font « parler », il apporte en quelque sorte de la vie ou même de l’humanité au procès. Mais la base d’un procès aujourd’hui est bien d’abord le dossier d’accusation, c’est-à-dire l’ensemble des écrits qui sont authentifiés (par un greffier), systématiquement regroupés, Pourquoi ne pas privilégier la parole comme hier dans les Cités de la Grèce antique ? Le but d’une telle logique procédurale est de mettre les individus clairement en face de leurs contradictions. En s’appuyant sur les pièces du dossier, on espère ainsi sortir des disputes stériles. La parole a toujours tendance à se contredire. Prenons le cas d’une discussion sans véritable enjeu. Une fois je dis que la personne était assez éloignée ; une autre fois je dis qu’elle n’était pas très proche ; une troisième fois, qu’elle était vraiment loin ; une quatrième fois, qu’elle m’a semblé loin mais qu’elle était peut-être à vingt mètres seulement... Quand deux personnes (au moins) discutent ou se disputent les divergences éclatent bien plus vite encore ! Dans un dossier d’instruction, la parole devient déposition écrite. Celui qui parle sait qu’il ne s’agit pas d’une parole en l’air, mais d’un dire qui pourra éventuellement se retourner contre lui. Toute déclaration sous serment étant enregistrée, consignée, peut faire l’objet d’une mise en examen pour faux-témoignage, obstruction à la justice, insulte à la cour... Lorsque le juge remarque qu’une personne appelée à comparaître n’est pas cohérente, il a prise sur elle et on peut même penser qu’il la tient en son pouvoir. Ecoutons le juge : « Vous venez de dire « blanc », mais dans le dossier je vois que vous avez déclaré à l’agent X « noir ». Comment expliquez-vous cela ? » Ne pas pouvoir répondre à la cour, alors qu’on s’est engagé à dire toute la vérité, apparaît comme le fait qu’on a quelque chose à cacher, bref comme une évidence de culpabilité.

On voit là un effet de ce que Jack Goody a appelé la « raison graphique » et qu’il a rattaché à la « galaxie Gutemberg », l’émergence d’une forme de rationalité, propre aux sociétés de l’écrit. « En particulier, le discours critique ne peut s’exercer que sur un capital cumulatif de savoirs écrits, que l’on peut ré-interroger ; l’oral étant intrinsèquement imprécis, persuasif et moins accessible à la critique. » http://python.bretagne.iufm.fr/lang...

partie 5

Document du Conseil canadien de la magistrature, modèle de directives au jury

9.4 Évaluation de la preuve (dernière mise à jour – février 2004)

[1] Pour rendre votre décision, vous devez examiner soigneusement et avec un esprit ouvert toute la preuve présentée au cours du procès. Il vous appartient de décider de la valeur à accorder au témoignage de chaque témoin. Vous pouvez croire tout ou partie de la preuve présentée par un témoin ou l’écarter entièrement.

[2] Lorsque vous vous rendrez dans la salle des jurés pour décider de l’affaire, servez‑vous de votre bon sens pour décider si les témoins savent de quoi ils parlent et s’ils disent la vérité. Il n’existe aucune formule magique pour décider de la crédibilité d’un témoignage ou de la valeur qu’il faut y accorder. Voici quelques facteurs dont vous pourriez tenir compte au cours de vos discussions :

[3] Le témoin semblait‑il honnête ? Avait‑il une raison particulière de ne pas dire la vérité ?

[4] Le témoin avait‑il un intérêt dans le résultat de l’affaire ou une raison de présenter une preuve favorisant une partie plutôt que l’autre ?

[5] Le témoin était‑il en mesure de présenter des observations exactes et complètes au sujet de l’événement ? A‑t‑il eu l’occasion de le faire ? Dans quelles circonstances les observations ont‑elles été faites ? Dans quel état se trouvait le témoin ? S’agissait‑il d’un événement ordinaire ou hors de l’ordinaire ?

[6] Le témoin vous a‑t‑il donné l’impression d’avoir une bonne mémoire ? Le témoin a‑t‑il une raison de se souvenir des événements au sujet desquels il a témoigné ? L’incapacité ou la difficulté du témoin à se souvenir des événements semblait‑elle véritable ou était‑elle utilisée comme une excuse pour éviter de répondre aux questions ?

[7] Le témoin semblait‑il vous rapporter ce qu’il avait vu ou entendu, ou présenter simplement un compte rendu fondé sur des renseignements obtenus d’autres sources, plutôt que sur des observations personnelles ?

[8] La preuve présentée par le témoin semblait‑elle vraisemblable et cohérente ou diffère‑t‑elle de la preuve présentée par d’autres témoins au sujet des mêmes événements ? Le témoin a‑t‑il précédemment dit ou fait quelque chose de différent ?

[9] Les contradictions dans le témoignage rendent‑elles moins crédibles ou moins fiables ses principaux aspects ? La contradiction est‑elle importante ou mineure ? S’agit‑il d’une erreur de bonne foi ou d’un mensonge délibéré ? La contradiction résulte‑t‑elle d’une déclaration différente du témoin ou d’une omission de sa part ? Peut‑elle être expliquée ? L’explication a‑t‑elle du sens ?

[10] Comment se comportait le témoin lorsqu’il témoignait ? Ne tirez pas de conclusions hâtives fondées uniquement sur le comportement du témoin. Les apparences sont trompeuses. Témoigner n’est pas une expérience courante. Les gens réagissent et se présentent différemment. Ils possèdent des capacités, des valeurs et des expériences de vie différentes. Il y a tout simplement trop de variables pour que le comportement d’un témoin constitue le seul facteur ou le facteur le plus important dans votre décision.

9.5 Nombre de témoins (dernière mise à jour – février 2004)

[1] La valeur ou la crédibilité que vous accordez à la preuve présentée par les témoins ne dépend pas du nombre de témoins d’un côté comme de l’autre.

[2] Vous devez examiner l’ensemble de la preuve. Vous pouvez décider que la preuve présentée par un petit nombre de témoins est plus fiable que la preuve présentée par un plus grand nombre de témoins. La décision vous appartient.

[3] Vous devez examiner soigneusement chaque témoignage. Évaluez la crédibilité de chaque témoin. Ne décidez pas de l’affaire en comptant simplement le nombre de témoins.

9.6 Témoignage de l’accusé (directive de l’arrêt W. (D.)) (dernière mise à jour – mars 2007)

[1] Si vous croyez le témoignage de NDA [toute personne accusée d’infraction] selon lequel il n’a pas commis l’infraction reprochée, vous devez l’acquitter.

[2] Même si vous ne croyez pas le témoignage de NDA, mais que son témoignage soulève néanmoins dans votre esprit un doute raisonnable quant à sa culpabilité (ou quant à un élément essentiel de l’infraction (ou d’une infraction) reprochée), vous devez l’acquitter.

[3] Si vous ne savez pas qui croire, vous avez alors un doute raisonnable et devez acquitter NDA.

[4] Même si le témoignage de NDA ne soulève pas dans votre esprit un doute raisonnable quant à sa culpabilité (ou quant à un élément essentiel de l’infraction (ou d’une infraction) reprochée), si, après avoir considéré la preuve, vous n’êtes pas convaincus hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de NDA, vous devez l’acquitter.
http://www.cjc-ccm.gc.ca/french/law...

Florilège de réponses d’élèves

Seconde partie

Question 4

Voltaire critique les tribunaux de l’époque sur leur façon d’établir des preuves. Il leur faudrait être plus rigoureux dans leurs jugements. Cédric

Voltaire s’attaque au système juridique de son époque, il désire une bonne méthode juridique pour qu’on arrête de se baser sur des dires afin de condamner des hommes à la roue. Aladhade

L’homme possédant d’autres connaissances (scientifiques, mathématiques, d’H.G.) il peut bien sûr développer d’autres méthodes. Clémentine

Quand on est un juge, il faudrait avoir l’esprit ouvert et avoir plusieurs façons (ou manières) de réfléchir afin de résoudre un problème sur un sujet donné. Lova

Voltaire veut dire par là que, s’il y avait un droit à la présomption d’innocence, les hommes seraient moins accusés à tort. Les jugements produits par ces tribunaux d’Ancien Régime étaient basés sur des dires et non sur des preuves. Donc il suffisait qu’un groupe de personnes veuille du mal ou la mort d’une autre personne pour lancer une accusation frauduleuse et obtenir que la personne visée soit condamnée. Florent

Si les juges du tribunal de Toulouse connaissaient mieux les mathématiques ils arriveraient à être beaucoup plus rigoureux, car en mathématiques il faut toujours prouver ce qu’on dit, démontrer ce que l’on affirme ! Alors s’ils appliquaient cette méthode pour la justice peut-être que les condamnations seraient plus fondées, prouvées, démontrées. Et peut-être que des innocents seraient épargnés. Hanaé

Question 5

Je suis entièrement d’accord. Les preuves sont une chose sérieuse. Matthieu
Oui, je suis d’accord avec Voltaire quand il affirme « une chose est prouvée, ou elle ne l’est pas ; il n’y a point de milieu » c’est-à-dire que soit une chose est soit prouvée soit non prouvée et elle ne peut pas être un peu prouvée et un peu pas prouvée en même temps. Orlane

Il y a une part de vérité mais cette phrase n’est peut-être pas juste dans tous les cas. Beaucoup d’affirmations sont quotidiennement réfutées ; nul homme ne possède de connaissances universelles. Finalement, je pense que rien n’est impossible, aussi je ne suis pas d’accord avec Voltaire sur ce point, certaines choses sont peut-être au milieu, à moitié prouvées. Léa

Oui, je suis d’accord avec Voltaire, car on ne peut pas dire qu’une personne soit à moitié coupable ou à moitié innocente : il n’y a pas de milieu. Benjamin

Une moitié de preuve n’est rien d’autre qu’une preuve inachevée, donc fausse en l’état. Kerry

Question 5 a)

100 000 soupçons ne sont quasiment pas une preuve. Lisa

Je pense que 100 000 soupçons arrivent à former une preuve mais quelque chose me fait pourtant croire que non. Cette affirmation doit être considérée comme douteuse. X

100 000 soupçons ne forment pas forcément une preuve ! Car un soupçon est quelque chose dont on n’est pas sûr. Or 100 000 choses dont on n’est pas sûr donneront toujours quelque chose dont on n’est pas sûr. Cela ne changera pas par rapport à la quantité. Mais plusieurs indices peuvent construire une preuve, peut-être incertaine car pas tout à fait complète mais une preuve quand même. 100 000 personnes peuvent très bien avoir tort. Si la chose soupçonnée est trompeuse, frauduleuse, elle ne deviendra pas vraie pour être soupçonnée par une foule de gens. Hanaé

Dernières questions

Quand deux témoins rapportent vraiment les mêmes faits, le tribunal peut éventuellement considérer leur déposition comme formant une preuve. Mais un seul témoin ne doit pas alors être considéré comme une demie preuve. Mathieu

Même s’ils sont deux, le tribunal doit toujours considérer les déclarations que comme des soupçons, pas des preuves ni des demies preuves. Aïcha

Deux personnes ont pu se mettre d’accord pour dire la même chose. Mieux vaut qu’ils soient plus nombreux. De toutes façons leurs témoignages restent des paroles. Roméo

Oui, pour moi il s’agit d’une demi-preuve dans le cas général, pour les affaires ordinaires. Mais ce n’est pas obligé dans les affaires graves car pour une preuve on pourrait avoir besoin de plus de dix personnes. Un témoignage isolé n’a de toute façon pas de valeur en soi. Asma

La justice n’est pas toujours une affaire mathématique donc si deux personnes témoignent c’est une preuve relative, mais si une personne seule témoigne c’est autre chose qu’une preuve. Un témoignage isolé peut être contredit par plein d’autres. Mais il est intéressant pour faire avancer l’enquête.. Plus il y a de témoignages, plus la preuve est renforcée. La preuve produite par deux témoins est présente, mais elle demeure fragile. Kenza

Mathématiques : la démonstration

Intervention du professeur de mathématiques

Effectif de la classe : 34 élèves.

Intervention : Quinze heures en alternance avec le cours de philosophie.

Objectifs :

  1. Préciser la définition du mot démonstration en mathématiques.
  2. Montrer sur des exemples, l’utilité d’une démonstration.
  3. Faire le tour des différents types de démonstrations rencontrées au lycée.
  4. Faire en sorte que les élèves, après avoir saisi l’importance des démonstrations n’y soient plus réfractaires.
Intervention du professeur de mathématiques


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