Évaluer des compétences : pourquoi et comment ?

Intervention du 4 décembre 2009 au colloque des 10 ans de l’IREM
mardi 15 décembre 2009
par  Xavier SORBE

Je tiens à renouveler mes remerciements à l’IREM de la Réunion pour son invitation, et plus particulièrement à son directeur, Dominique Tournès, dont il faut saluer l’esprit d’initiative qu’il manifeste à travers l’organisation régulière de telles manifestations.

À ce stade, il n’est sans doute plus nécessaire de nous appesantir sur les grands principes qui ont fondé l’instauration d’un socle commun : le processus de Lisbonne, « L’Europe de la connaissance » et les compétences-clés, la loi d’orientation pour l’avenir de l’École (2005), l’influence des évaluations et des comparaisons internationales, etc.

L’un des enjeux majeurs est d’ordre pédagogique. Il ne s’agit pas de promouvoir une évaluation fine et irréprochable des élèves. L’essentiel n’est pas dans l’attestation du socle, mais dans les changements à venir dans les pratiques des maîtres. Il ne s’agirait pas de se contenter de transformer des notes en des oui ou des non.

Dans une note publiée en juillet 2009, la DEPP attire notre attention sur un constat qui doit nous mobiliser : 21,6% des jeunes reçus lors des journées d’appel et de préparation à la défense (JAPD) sont des lecteurs inefficaces. La mise en œuvre du socle constitue une chance, en concentrant les apprentissages autour de ce qui est indispensable pour s’adapter aux évolutions de la société ou de la vie professionnelle. Il est temps de voir comment rendre opérationnel la réflexion engagée et les documents proposés. Je me propose de développer quelques préalables que j’illustrerai par des exemples.

1. Croire dans les potentialités de chaque élève

Ce principe essentiel ne doit pas être passé sous silence. Si nous nous inscrivons d’emblée dans la complainte du niveau qui baisse, il est inutile de parler de socle commun. Pour certains élèves, la chose scolaire n’est pas une priorité dans leur parcours. En amont du socle, il convient de développer et d’entretenir une certaine estime de soi. À tout âge, l’efficacité de la démarche d’apprentissage, quel qu’en soit l’objet, demande de la part de l’intéressé un minimum d’estime de soi, qui servira de base à son adhésion. Nous tenons là un levier essentiel en faveur d’une plus grande mixité sociale. La juste représentation par les élèves de leurs possibilités sert cette mixité. Rappelons pour mémoire, que les enfants d’ouvriers représentent 33 % des élèves de sixième, 22 % des élèves de seconde générale et technologique, 15 % des élèves de terminale S, 5 % des étudiants en deuxième année de médecine. Il n’y a pas de fatalité. Ces difficultés s’expliquent en partie par une forme d’autocensure que subissent certains élèves, parfois encouragés malgré eux dans cette attitude par leur famille. Cette remarque vaut en particulier pour les élèves des milieux défavorisés.

Le socle nous invite à un changement d’état d’esprit. L’obligation d’entretenir une représentation positive des élèves concerne aussi la représentation que les élèves ont d’eux-mêmes. L’image renvoyée par l’enseignant en direction de l’élève influence fortement la vision qu’a ce dernier de sa propre scolarité.

Exemple d’illustration (source : Document ressource pour le socle commun dans l’enseignement des mathématiques au collège, DGESCO 2009, page 31/57)

Jim a une collection de 117 DVD. Sept neuvièmes de ses DVD sont des films d’aventure.
Combien de DVD de film d’aventure Jim possède-t-il ?

Production d’un élève :

Le résultat est incorrect mais l’élève a bien modélisé le problème et il prouve une bonne maîtrise du sens des opérations. Peut-être n’a-t-il fait qu’un oubli (1 neuvième au lieu de 7 neuvièmes). S’il avait pu être questionné par son professeur, il aurait peut-être rectifié de lui-même son erreur.

Nous savons bien que cet élève risque fort de « perdre des points ». Pourtant, si cet exercice a été inscrit dans un devoir pour évaluer l’aptitude à résoudre un problème dans le domaine du numérique, il faut chercher à en savoir davantage sur l’élève, lui permettre d’exprimer son cheminement.

2. S’interroger sur les pratiques de notation

Peut-on prétendre travailler dans la logique du socle tout en maintenant des pratiques de notation archaïques ? La note écrase les nuances, elle fige les représentations que les professeurs ont des élèves et les élèves d’eux-mêmes. Elle est régulièrement source de découragement. On perd de vue son caractère relatif alors que de nombreuses études docimologiques ont montré que la note manque de rigueur scientifique (absence de stabilité d’un enseignant à l’autre, d’un élève à l’autre, entre le début et la fin d’un paquet de copies, etc.), sans parler de la tentation de la courbe de Gauss ou de la dictature de la moyenne qui écrase toutes les informations et induit des compensations sans fondement. La note renforce la tentation d’évaluer de la technicité. Même sur 20, elle est interprétée de façon très binaire, en termes d’échec ou de succès. Elle masque certaines réussites ou peut être source d’illusions.

La note fait partie du décor. À tel point que l’on a du mal à concevoir une évaluation sans notation, voire même à dissocier ces deux notions qui se confondent dans les esprits.
Pourtant, dans certains pays, la notation chiffrée est réservée aux années d’examen, pour se centrer sur le niveau atteint par rapport à des objectifs fixés. En Finlande, si un élève ne se sent pas prêt au moment de passer un contrôle, il demande à le repasser lors de la séance suivante. L’évaluation peut aussi reposer sur l’obtention de crédits à acquérir.

Une compétence se manifeste en situation. Même si elle requiert la mise en oeuvre de ressources multiples que l’enseignement doit construire, évaluer une compétence n’est pas équivalent à évaluer la maîtrise de chaque ressource isolément.

Exemple d’illustration (source : Document ressource pour le socle commun dans l’enseignement des mathématiques au collège, DGESCO 2009, page 50/57)

Un chauffeur de taxi pratique un tarif donné par le tableau suivant :

Distance (en km) 0 à 5 5 à 10 10 à 20 Plus de 20
Prix (en €) 1 € par km 2 € par km moins 5 € 1 € par km plus 5 € 2 € par km moins 15 €

Combien paie un client pour parcourir 7,5 km ? 15 km ? 22,5 km ?

Production d’un élève :

L’évaluation peut s’appuyer sur les compétences suivantes :

 C1 : Rechercher et organiser l’information.
 C2 : Calculer, mesurer, appliquer des consignes.
 C3 : Engager une démarche, raisonner, argumenter, démontrer.
 C4 : Communiquer à l’aide d’un langage mathématique adapté.

L’objectif est bien d’évaluer la maîtrise de chaque compétence par chaque élève et non de classer les élèves.

3. Être soucieux avant tout de la formation des élèves

Les préoccupations liées à l’évaluation ne doivent pas faire perdre de vue l’objectif central qui demeure de former les élèves. L’intégration du socle commun dans l’enseignement ne se limite pas à des questions d’évaluation. Elle implique des modifications des pratiques de formation. Elle fournit l’occasion de s’attarder sur des aspects pédagogiques trop souvent négligés :

  • placer les élèves en activité ;
  • proposer des situations offrant du sens ;
  • prêter attention aux écrits intermédiaires et tirer profit des erreurs constatées ;
  • développer les échanges oraux ;
  • etc.

Il convient à la fois de permettre l’acquisition des connaissances et capacités du programme et des aptitudes relevant du socle. Le socle n’est pas le programme. Il constitue la priorité absolue, le cœur de l’enseignement sur la scolarité obligatoire, mais pas sa totalité. Autrement dit, les disciplines continuent à poursuivre des objectifs propres, que leurs programmes officiels affichent, en les intégrant dans une démarche au sein de laquelle le socle est la priorité.
Un professeur doit, lorsqu’il prépare un cours, se poser la question des capacités et des attitudes figurant dans le socle commun que la séance va développer chez les élèves.

Enfin, le socle repose sur une pratique très régulière de la résolution de problèmes : les mathématiques fournissent des outils pour agir, choisir et décider dans la vie quotidienne […] La maîtrise des principaux éléments de mathématiques s’acquiert et s’exerce essentiellement par la résolution de problèmes, notamment à partir de situations proches de la réalité (décret relatif au socle commun, 11 juillet 2006). Au même titre, la culture mathématique (PISA) est l’aptitude d’un individu à identifier et comprendre le rôle des mathématiques dans le monde, à porter des jugements fondés à leur propos et à s’engager dans des activités mathématiques en fonction des exigences de sa vie, en tant que citoyen constructif, impliqué et réfléchi.

La résolution de problèmes contribue à la formation du citoyen. Elle est une occasion privilégiée pour développer les capacités de raisonnement, d’imagination et d’analyse critique, tout en suscitant le plaisir de la découverte. De nos jours les machines font l’essentiel des tâches ingrates. La priorité n’est plus la maîtrise du calcul posé. Cette approche favorise la mise en œuvre d’une véritable démarche scientifique, les activités proposées devant conduire à modéliser une situation, rechercher par tâtonnements, conjecturer un résultat, bâtir une argumentation, etc. Il ne s’agit pas d’amener l’élève à reconstruire les outils usuels (techniques opératoires par exemple) à chaque fois qu’il en a l’usage.

Par ailleurs, pour être autonome dans la résolution d’un problème, l’élève doit disposer d’un minimum d’automatismes pour être efficace, en libérant de l’énergie pour des tâches plus intéressantes, sans être asservi à des soucis de mise en œuvre technique. Le préambule des programmes de collège précise que ces réflexes intellectuels se développent en mémorisant et en automatisant progressivement certaines procédures, certains raisonnements particulièrement utiles, fréquemment rencontrés et qui ont valeur de méthode.

Exemple d’illustration (source : Document ressource pour le socle commun dans l’enseignement des mathématiques au collège, DGESCO 2009, page 24/57)

Un usager de la SNCF, qui dispose de la fiche horaire ci-dessous, souhaite se rendre de Paris (gare de Lyon) à Champagne-sur-Seine (commune de Seine-et-Marne) le dimanche 2 novembre. Il a des contraintes horaires et souhaite :

  • quitter Paris après 10 heures et arriver à Champagne-sur-Seine avant 15 heures ;
  • avoir une durée de transport la plus courte possible.
    On demande de déterminer l’heure de départ et l’heure d’arrivée de l’usager, compte tenu de ses contraintes.

PARIS LYON – MONTEREAU (via MORET ou HÉRICY)
Horaires Transilien du 24 août au 13 décembre 2008

4. Donner du temps

La gestion du temps renvoie à la notion de progression. Dans les disciplines scientifiques s’est affirmée la volonté d’instaurer des progressions en spirale. C’est ainsi que l’on revient assez largement au collège sur des notions vues à l’école. C’est le cas, par exemple, pour la division, sous différentes formes. Bien sûr, cela ne veut pas dire pour autant que ces programmes sont identiques et qu’il n’y aurait pas de nouveautés à découvrir par les élèves au fil de leur scolarité.

Le préambule des programmes de collège nous rappelle également qu’il ne faut pas perdre le plaisir qu’éprouvent les écoliers à faire des mathématiques : « À l’école primaire, une proportion importante d’élèves s’intéresse à la pratique des mathématiques et y trouve du plaisir. Le maintien de cet intérêt pour les mathématiques doit être une préoccupation du collège. Il est en effet possible de se livrer, à partir d’un nombre limité de connaissances, à une activité mathématique véritable, avec son lot de questions ouvertes, de recherches pleines de surprises, de conclusions dont on parvient à se convaincre. »

L’évaluation doit, elle aussi, se faire sur la durée : le socle n’est pas un examen. La vie quotidienne de la classe doit nous permettre de valider simplement un certain nombre de compétences, étant entendu que tous les élèves ne sont pas capables des mêmes choses au même moment. Il est intéressant de confronter les solutions proposées par les élèves. Cela nous permet de voir l’étendue de leurs capacités pour mieux les prendre en compte et leur permettre de progresser.

Exemple d’illustration (source : Document ressource pour les classes du collège Raisonnement et démonstration, DGESCO 2009, page 6/30)

L’affirmation : « la somme de deux multiples de 7 est un multiple de 7 » est-elle vraie ou fausse ?

Le premier élève travaille sur la base d’exemples, montrant qu’il s’est parfaitement approprié la question posée même s’il n’accède pas ici au stade de la généralisation. Le suivant, qui a parfaitement compris le problème posé, a recours à des points de suspension qui témoignent de son excellente compréhension du mécanisme en jeu. Un autre propose la solution experte de façon assez elliptique. Le dernier s’est engagé dans une écriture littérale, apparemment mal maîtrisée, avec des calculs incorrects. Si l’enseignant veut imposer d’emblée la démarche experte, il y a peu de chances qu’il soit compris de tous. Tout passage en force est vain.
Confronter les diverses solutions proposées permet de prendre appui sur la diversité des approches, ce qui présente un réel intérêt pédagogique.

Le professeur doit avoir conscience que la correction qu’il propose avec un certain niveau de généralisation, peut arriver trop tôt pour certains.

5. Instaurer une différenciation

Dans ce domaine, les pratiques sont souvent plus avancées dans le premier degré. La différenciation peut concerner :

  • les énoncés (proposer des énoncés différents à un même public sur une thématique commune) ;
  • les tâches (faire en sorte de ne pas demander la même chose à tout le monde tout au long de l’année) ;
  • les exigences (on ne peut pas avoir les mêmes attentes avec tous les élèves).
    L’essentiel est de permettre à tous les élèves de s’engager. Il importe donc de choisir des énoncés suffisamment ouverts pour laisser chacun donner libre cours à son cheminement.

Une importante distinction est à opérer entre raisonnement et rédaction. Dans les faits, l’évaluation d’un raisonnement s’arrête trop souvent sur l’évaluation d’un écrit.
Il faut savoir distinguer ce qui relève de la démarche purement mathématique de ce qui concerne la production d’écrit, en faisant preuve de discernement dans l’appréciation de l’une et de l’autre. Il est bienvenu de dissocier parfois les deux apprentissages (recherche et élaboration d’une preuve / mise en forme de la preuve) car beaucoup d’élèves se croient incapables de faire des mathématiques alors que leur difficulté se limite dans la production d’un écrit conforme aux attentes du professeur. Ce qui ne veut évidemment pas dire que les professeurs de mathématiques ne doivent pas s’intéresser à la maîtrise de la langue, bien au contraire.

Exemple d’illustration (source : Document ressource pour le socle commun dans l’enseignement des mathématiques au collège, DGESCO 2009, page 30/57)

L’illustration suivante concerne la géométrie. On soumet à la classe, à propos du calcul de l’aire d’un triangle, la solution proposée par une élève : cela conduit à travailler sur l’argumentation proposée, de façon à bien discerner les exigences.

On considère un triangle ABC.
O est le point de [AC] tel que : (BO) ⊥ (AC).
De plus, on a : BO = 3,2 cm ; AO = 4 cm ; BC = 6,8 cm.
Calculer l’aire du triangle ABC.

Christine a rédigé son travail de la façon suivante :

OC = 6 cm
$\frac{(4+6)\times3,2}{2}=16$

Le professeur dit à Christine qu’elle a trouvé les bons résultats mais qu’elle doit maintenant rédiger sa solution.

Aide-la en écrivant une solution rédigée sur ta copie.

Conclusion

Il convient à la fois d’être ambitieux, pour sortir d’une situation où un nombre trop important de jeunes sortent du système sans qualification, et d’être raisonnable en évitant de s’engager dans des grilles inextricables qui ne seraient pas opérationnelles. Sous prétexte de perfectionnisme, on risquerait de faire échouer un processus qui vise avant tout à porter un autre regard sur les élèves.

Enfin, il convient de souligner le rôle primordial des chefs d’établissement auxquels il revient de donner l’impulsion pour une réflexion concertée et d’assurer la coordination des actions à mettre en œuvre, en s’efforçant de tirer profit de l’expérience acquise dans l’enseignement de certaines disciplines.


Liens utiles

(Voir aussi un compte rendu de cette conférence dans la rubrique « Évaluer le socle commun dans la résolution de problèmes ».)


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