Pertinence du travail en groupe en mathématiques

Une technique simple de production de sujet
dimanche 12 mai 2019
par  Célia DELOUSTAL , Hugues DELIGNY

À l’occasion de visites croisées de sixièmes et de CM2 dans le cadre du conseil école-collège du bassin du collège des Aigrettes, nous nous sommes interrogés sur la pertinence du travail en groupe dans l’acquisition de compétences mathématiques par des élèves.

Introduction

Suite à la demande de nos corps d’inspections respectifs, nous, Mme Deloustal (professeure en école) et M. Deligny (professeur en collège), avons accepté de travailler ensemble sur une réflexion pédagogique conduisant à une visite croisée dans nos classes.

Notre participation au concours Eurêka nous a naturellement conduits à porter notre réflexion sur les séances d’entrainement. Ces entrainements, au-delà des compétences disciplinaires individuelles mises en oeuvre, demandent une organisation entre élèves d’un travail de groupe afin que la classe ne rende qu’une seule copie.

Nous nous sommes alors interrogés sur la pertinence du travail en groupe dans l’acquisition de compétences mathématiques par des élèves. Le travail en groupe est-il vraiment efficace ? L’est-il plus que le travail individuel guidé par le professeur ? Y a-t-il un transfert de compétences entre élèves ? Si oui, dépend-t-il du type d’activité proposé ?

Par ailleurs, en faisant travailler leurs élèves en groupe, bon nombre de professeurs font le même constat. Le ou les élèves les plus performants s’accaparent le travail. Si le travail est noté, cela conduit à des tensions entre élèves, les plus performants ayant peur de voir leur note altérée par le maillon faible du groupe. Lors de la préparation de notre activité nous avons supposé que ces phénomènes de groupe sont liés à la nature des activités proposées.

Nous proposons ici une stratégie fort simple pour produire des activités palliant ces travers. Dans ce cadre la visite croisée prend tout son sens puisqu’elle permet au visiteur d’observer les groupes fonctionner pendant que le professeur en charge gère la séance.

Travailler en groupe, l’impact de la nature du sujet

L’enseignement des mathématiques se fait fort peu en groupe au collège et nous sommes nombreux à l’éviter suite à de mauvaises expériences du type de celle évoquée plus haut.

Ces problèmes d’organisation du groupe interviennent avec des énoncés qui ne conduisent pas à des tâches « parallélisables ». En effet, si la résolution passe par un enchainement d’étapes, la suivante ne pouvant être entamée avant d’avoir fini la précédente, la distribution du travail dans le groupe devient impossible. On voit chaque élève faire l’exercice de son côté, ou bien le plus fort travaille sous le regard des autres qui, éventuellement, effectuent des vérifications. La pertinence du travail en groupe est alors très discutable.

Activité séquentielle Activité parallèle

Nous pensons que des activités « parallélisables » sont plus propices au travail de groupe et nous avons pris le parti de produire très simplement ce type d’activité.

Nous avons choisi des exercices fort simples du livre portant sur les chapitres du moment. Ces exercices nous donnent la tâche 2 du schéma ci-dessous représentant les activités parallèles. Nous avons ensuite fait varier les paramètres numériques et introduit une tache 3 qui demande une interprétation ou un traitement des résultats obtenus. Ce processus de construction a le mérite d’être particulièrement simple et adaptable à bon nombre de chapitres.

Exercice du livre :

Activité de groupe :

Exercice du livre :

Activité de groupe :

Exercice du livre :

Activité de groupe :

Exercice du livre :

Activité de groupe :

Nous pensons que ce type de sujet favorise la recherche d’une répartition des tâches et la collaboration. Ici, nous espérons voir les élèves retrouver ensemble le processus de calcul du produit de nombres décimaux, puis se répartir le travail avec éventuellement une stratégie de vérification croisée.

Accompagner les élèves dans une stratégie de travail de groupe

Nous avons donné aux élèves un graphique en étoile pour les guider dans leur participation au groupe.

En début de séance le graphique est lu dans le sens des aiguilles d’une montre.

S’engager dans un dialogue constructif veut dire se centrer sur l’activité. Le début du travail consiste à écouter l’avis des autres et donner le sien jusqu’à trouver un consensus sur la nature de la tâche 2. Ensuite il faut planifier le travail et chacun fait sa part sérieusement en demandant de l’aide si nécessaire. Enfin, on vérifie si le problème est résolu et on rédige la solution. Nous faisons attention à ne pas trop guider les élèves vers une distribution des tâches comme nous l’attendons.

En fin de séance les élèves complètent le document, voici deux exemples.

Répartition des élèves dans les groupes et mise en compétition

Lors de la séance de travail la classe est divisée en deux équipes qui s’affrontent pour obtenir la meilleure note. Les équipes A et B sont statistiquement les plus similaires possibles. La construction est simple, à partir d’un classement sur les moyennes de mathématiques, les élèves sont répartis un à un dans les deux groupes. De fait le niveau moyen et l’hétérogénéité sont semblables.

Cette répartition construite, il reste à former quatre groupes dans chaque équipe. Chaque groupe aura en responsabilité un exercice. Là encore les groupes doivent être les plus semblables possibles. Nous avons opté pour associer la moyenne la plus haute avec la plus faible et de recommencer avec le reste de l’équipe jusqu’à avoir des groupes de même moyenne mais cette fois-ci pas de même hétérogénéité. Cela n’étant pas possible avec les groupes de trois à quatre enfants.

Cette stratégie de mise en compétition de deux demi classes est très efficace pour engendrer un investissement important des élèves. Elle fonctionne aussi avec des élèves de quatrième, plus difficiles à motiver.

Observation lors de la séance

Un groupe de trois élèves ne se souvient plus de la technique pour poser et effectuer une multiplication de nombres décimaux. Un élève écrit et les autres regardent. M. Deligny intervient pour mettre le groupe sur la piste de la technique opératoire. Le groupe redémarre. Chacun réalise le premier calcul pour vérifier qu’il trouve le même résultat que son voisin puis ils se répartissent la tâche sur les autres calculs.

Dans un autre groupe, chacun a fait la totalité des calculs car ils sont rapides et ont envie de faire tout le sujet. Finalement, l’exercice est bien réussi et un long temps est pris pour rédiger la réponse. Sur cette phase, un élève travaille alors que les autres regardent.

Le sujet est porteur pour un transfert de compétences. Chaque exercice est pensé pour distribuer les tâches à accomplir sur un même mode d’action.

Le transfert des compétences est particulièrement efficace pour les tracés géométriques. Il induit une motivation à faire et un sentiment de compétence pour tous les élèves.

Pour l’exercice de calcul, la tâche engage les élèves dans l’activité. Cependant, la gestion des données pour résoudre le problème rend l’explication de la démarche difficile pour associer le résultat d’un calcul à une réponse.

Dans certains groupes la difficulté à planifier la tâche ne les amène pas à distribuer les rôles et les tâches.

C’est la planification des tâches qui n’est pas évidente. Des rétroactions lors de la séance ont permis d’expliciter le sens des items du simplexe. C’est à travers l’activité et l’expérience des items que les élèves y mettent du sens : planifier les tâches recouvre une prise en charge des changements de rôles, d’écoute de leurs pairs et est gage d’efficacité pour produire une réponse collective.

Expliquer sa démarche est un des objectifs du concours Eurêka. La difficulté que cela peut représenter pour identifier et verbaliser les étapes de résolution, utiliser un vocabulaire précis, amène à penser à des outils pour modéliser, « parler sur » sa réflexion lors des résolutions de problèmes grâce aux écrits de travail.

Ainsi, l’utilisation d’une grille de relecture peut faciliter la rédaction de la démarche : titre du calcul, calcul en ligne et réponse avec l’unité. Il peut être aussi utile de proposer une aide lexicale avec un répertoire de mots, liés au lexique propre aux mathématiques : superposer, déplacer, calculer, comparer, classer…

Seconde séance en classe de CM2

Lors de la visite retour en classe de CM2 nous avons choisi de proposer des exercices « séquentiels » et d’autres « parallélisables ». Nous avons pu constater que le type de fonctionnement des groupes était fortement lié au type d’activité. Dans les activités séquentielles, les élèves s’organisent pour répondre aux attentes de l’école, ils attendent le plus lent pour passer à la question suivante ou ils se partagent les questions : l’un cherche les autres regardent et vérifient dans un désir évident de bien faire scolairement au détriment de l’efficacité face à la tâche. Les élèves savent ce qu’attendent leurs enseignants : une collaboration et un partage des tâches pour que chacun apprenne.

En outre, ils sont mobilisés sur une activité longue et en temps limité. Cette incompatibilité entre objectif social et objectif opérationnel (résoudre le problème) conduit à des conflits. Les groupes travaillant avec des activités « parallélisables » ne présentent pas ces travers de fonctionnement car l’objectif social de collaboration sert l’objectif opérationnel. Ceci est vrai sous réserve que l’estimation du temps de travail lors de la création de l’activité soit bonne. En effet l’une des activités était réalisable dans l’heure par un élève d’un bon niveau et cela a conduit le groupe à avoir un comportement individualiste. Une surestimation du temps de travail est donc fortement nuisible à la mise en place d’une bonne dynamique de groupe.

Conclusion

Le simplexe de travail en équipe est un outil très pertinent pour faire fonctionner correctement un groupe si l’on prend le temps de faire le point régulièrement avec les élèves. C’est un bon moyen de favoriser un travail collaboratif en l’utilisant dans le sens des aiguilles d’une montre pour organiser le déroulement du travail.

La différentiation entre tâche « parallélisable » ou séquentielle s’est avérée très pertinente. Notre stratégie fort simple de production d’activité « parallélisable » est aussi pertinente. Lors de la création de telle activité, une estimation fine du temps de travail est fondamentale. Si ce temps est surestimé, la dynamique de groupe risque de ne pas naître au profit de comportements individualistes.

Si le groupe est porté par l’idée que le temps imparti est trop court, la distribution du travail devient naturelle et conduit à un moment d’échange et de transfert de compétences entre élèves. C’est un moment important qui peut demander la présence de l’enseignant. Par exemple, dans l’activé sur la technique de la division, aucun membre du groupe ne se souvenait de la méthode pour poser l’opération. Une intervention minimale du professeur dans la zone proximale d’apprentissage de l’élève le plus performant l’a conduit à réaliser le transfert de compétences attendu. L’élève s’est remémoré la méthode à voix haute, le groupe s’est approprié cette réminiscence dans une grande effervescence. C’était beau à voir !

Cette étude nous montre donc que le travail de groupe, dans ce cadre particulier, est pertinent pour conduire à des transferts de compétences entre élèves. Ces derniers ont particulièrement apprécié cette forme d’enseignement.


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