Première expérimentation de la classe inversée : un bilan mitigé

mardi 20 juin 2017
par  Chantal TUFFÉRY-ROCHDI

Pendant cette année scolaire 2016-2017, j’ai expérimenté la classe inversée au sein de mon lycée. Je relate ici cette première expérimentation, d’abord en classe de BTS SIO, puis en classe de Terminale STMG. Le bilan assez mitigé tiré de ces deux tentatives me conduit à envisager des pistes d’amélioration pour reconduire de façon plus efficace la classe inversée l’année prochaine.

Qu’appelle-t-on classe inversée ?

Mise en avant ces dernières années, la classe inversée est une méthode d’enseignement qui consiste à inverser les activités habituellement réalisées en classe et à la maison. Dans une classe traditionnelle, le temps passé en classe est principalement consacré au cours dispensé par l’enseignant, les exercices et les problèmes étant à résoudre à la maison alors que l’élève est seul. Dans une classe inversée, l’élève se familiarise avec le cours à la maison grâce à des capsules vidéo enregistrées par le professeur lui-même ou récupérées sur le net, vidéos que l’élève peut mettre en pause ou visionner à nouveau si nécessaire. Le temps en classe est consacré à la résolution d’exercices et de problèmes plus complexes. Les élèves peuvent alors travailler en groupes et bénéficier de l’aide du professeur.

Une première tentative en BTS SIO (Services Informatiques aux organisations)

En BTS SIO, en 1re et 2e années, les étudiants ont trois heures hebdomadaires de mathématiques dites obligatoires. Ils ont également la possibilité de suivre une option appelée « mathématiques approfondies » de deux heures hebdomadaires. Cette option n’avait jamais été ouverte dans mon établissement avant l’an dernier, quand les professeurs d’informatique de la classe m’ont demandé de l’enseigner pour une dizaine d’étudiants dont les résultats en fin de première année permettaient d’envisager une poursuite d’étude après le BTS. Je me suis donc trouvée confrontée à la tâche suivante : enseigner en une année le programme prévu sur deux années. J’ai alors envisagé de travailler sous forme de classe inversée.

Des recherches sur Eduscol m’ont orienté vers le site « Cours vidéo de Mathématiques » alimenté par Philippe Mercier. On y trouve des cours pour les quatre années de collège, la Seconde, la Première S et la Terminale S. Chaque cours est constitué d’une vidéo, d’un fichier de cours en pdf et d’un fichier d’exercices. Certaines de ces vidéos sont assez longues comme pourrait l’être un cours en Première S ou en Terminale S.

http://cours2nde.blogspot.com/


Le programme de l’option « mathématiques approfondies » comporte trois chapitres : fonctions, probabilités et statistiques. Ils reprennent principalement les connaissances de Première S et Terminale S. J’ai débuté l’année par le chapitre dédié aux fonctions. Les cours proposés sur le site me semblaient adaptés pour réactiver chez les étudiants des connaissances antérieures vues au lycée, mais non exploitées depuis plus d’un an et visiblement partiellement oubliées.

Après avoir expliqué aux étudiants le mode de fonctionnement de la classe inversée, je leur ai donné pendant trois semaines consécutives un lien vidéo ainsi qu’une version papier du cours associé avec quelques parties volontairement effacées. En visionnant la vidéo, ils pouvaient compléter le cours sans difficulté et cela me permettait de vérifier que le travail avait bien été fait. La durée des vidéos données variaient entre 20 et 40 minutes environ.

En fait, sur les dix étudiants, seuls trois ou quatre sont allés sur le site visionner les vidéos. Les deux premières fois, ils ont donné des excuses classiques : manque de temps, oubli, mauvaise connexion internet. Au bout de trois semaines, ils ont fini par avouer qu’ils voulaient bien faire deux heures de mathématiques supplémentaires par semaine, mais qu’ils n’avaient pas le temps ou l’envie d’ajouter une heure supplémentaire en dehors des séances et qu’il faudrait que l’on fonctionne différemment. Je suis donc revenue à une méthode plus traditionnelle : le cours et des exercices d’application en classe, des problèmes issus de sujets de BTS à rédiger régulièrement à la maison. Leur implication en classe a permis de couvrir le programme prévu et tous ont tiré profit de cet enseignement.

Une seconde tentative en Terminale STMG (Sciences et Technologies du Management et de la Gestion)

Ne voulant pas rester sur un échec, j’ai eu l’idée de tester la classe inversée en Terminale STMG à la rentrée des vacances de janvier 2017. Mon choix s’est porté sur le site « m@ths et tiques » d’Yvan Monka qui propose entre autres des cours vidéo pour les quatre niveaux du collège, la Seconde, les Premières ES-L et S, et les Terminales L-ES et S. Les vidéos sont très nombreuses et beaucoup plus courtes que celles sur le site précédent.

http://www.maths-et-tiques.fr/


Les chapitres abordés par la classe inversée ont été les suites géométriques et les généralités sur les probabilités. Les connaissances en jeu avaient déjà été vues en Première. Il s’agissait donc de rappeler ces différentes notions. J’ai sélectionné des vidéos sur le site d’Yvan Monka et conçu sur Pronote des QCM associés. Chaque semaine, en se connectant sur Pronote pour connaitre le travail à faire à la maison, les élèves avaient accès à un lien vers l’une des vidéos et devaient ensuite compléter un QCM. Les QCM ne comportaient que cinq questions auxquelles il était assez facile de répondre après avoir visionné les vidéos.

Par exemple, pour les probabilités, j’avais sélectionné une vidéo intitulée « calculer la probabilité d’une réunion – seconde » qui revenait sur le vocabulaire probabiliste et sur la formule qui donne la probabilité de la réunion de deux évènements à partir de la probabilité de chacun et de leur intersection.

https://www.youtube.com/watch?v=y4P_BP-ldxk&list=PLVUDmbpupCaoTbm5IPhDmnM7qnETXp47B&index=5


Le QCM proposait à chaque élève cinq questions choisies aléatoirement parmi quinze dont je donne deux exemples ci-dessous :

Ici encore, peu d’élèves se connectaient, visionnaient la vidéo et répondaient au QCM. Les excuses avancées étaient similaires à celles des étudiants : oubli, manque de connexion internet, panne de Pronote ! Ceci m’a conduit à abandonner après deux tentatives. Par ailleurs, il me semblait plus compliqué d’appliquer cette méthode à des connaissances nouvelles comme la loi normale, par exemple.

Des points positifs malgré tout

Même si ces deux tentatives n’ont pas été concluantes, je tire malgré tout des points positifs de mon expérimentation en Terminale STMG. Pour les deux séances sur les suites géométriques et sur les généralités sur les probabilités, j’ai débuté la séance en simulant le QCM au tableau interactif. Un élève lisait la question, un autre élève était interrogé pour donner la réponse. La réponse était ensuite discutée et validée par la classe. Ceci nous a permis de revenir sur les connaissances en jeu, déjà vues les années précédentes, de façon rapide et dynamique.

Enfin, j’ai utilisé une capsule vidéo pour lancer une activité sur les suites arithmétiques et géométriques en salle informatique. La capsule vidéo était toujours issue du site d’Yvan Monka et durait deux minutes. Elle compare le volume sonore d’une sonnerie de téléphone (60 dB) et d’un avion au décollage (120 dB). Après avoir remarqué que lorsqu’on double le nombre de téléphones, le volume sonore des sonneries cumulées augmente de 3 dB, on demande aux élèves de déterminer le nombre de téléphones qu’il faudrait faire sonner simultanément pour obtenir le même volume sonore qu’un avion au décollage.

https://www.youtube.com/watch?v=mvXGq5S0eAM


La capsule vidéo a été visionnée en demi-groupe au vidéoprojecteur. J’ai fait reformuler la situation par les élèves et j’ai noté au tableau les données numériques. La question a été rappelée oralement. Dans les deux groupes, les élèves ont été particulièrement attentifs pendant le visionnage de la capsule et la situation a été comprise sans difficultés apparentes.

Les élèves se sont ensuite orientés vers le tableur pour obtenir rapidement un tableau similaire à celui ci-après et aboutir au résultat attendu : il faut faire sonner 1048576 téléphones simultanément pour obtenir le même volume sonore qu’un avion au décollage.

La modélisation à l’aide d’une suite géométrique et d’une suite arithmétique a demandé davantage d’efforts.

Conclusion

Alors que cette méthode d’apprentissage est souvent présentée pour favoriser l’apprentissage de tous les élèves, mon bilan de la classe inversée est mitigé même si je reconnais que ces quelques tentatives ne peuvent pas conduire à des réponses générales.

La réaction des étudiants de BTS SIO ne signifie pas un rejet de la classe inversée. Il s’agit plutôt d’un choix stratégique : ils étaient d’accord pour ajouter deux heures de mathématiques à leur emploi du temps de la semaine déjà chargé, mais peu enclins à y consacrer davantage de temps pendant le weekend.

Concernant les élèves de Terminale STMG, la classe inversée ne répond pas pour l’instant à mes attentes. Certes, l’utilisation d’une capsule vidéo en classe a conduit à une activité intéressante mais, pour mes élèves, la difficulté réside principalement dans le fait de travailler à la maison. Les exercices donnés ne sont souvent résolus que par une minorité d’entre eux et s’ils cherchent les devoirs maison c’est surtout parce qu’ils sont notés et qu’ils leur permettent souvent d’améliorer leur moyenne. Cette première tentative montre qu’ils ne semblaient pas davantage prêts à visionner des vidéos mathématiques. Vidéo ou pas, cela reste des mathématiques !

Je compte malgré tout poursuivre l’expérience l’année prochaine à partir des idées échangées lors du séminaire IREM de fin d’année : mieux expliciter cette méthode d’enseignement avant de commencer, la mettre en œuvre dès le début de l’année, concevoir mes propres capsules sous forme de diaporamas enregistrés avec ma voix, noter les QCM comme des devoirs-maison…

Par contre, si cette méthode me semble très adaptée pour réactiver les connaissances déjà abordées en Première, je ne pense pas la mettre en œuvre pour aborder de nouvelles connaissances. En effet, la classe inversée ne me semble pas compatible avec les situations-problèmes qui doivent être traitées en classe à partir d’un travail de groupe et qui conduisent à l’acquisition de nouvelles connaissances.


Commentaires

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mardi 12 décembre 2017 à 14h11 - par  Nicolas Defaÿ

Merci Chantal pour ce témoignage, je partage ton sentiment.

La classe inversée n’est bien souvent pas à la hauteur de nos espérances d’enseignant mais cela reste une bonne occasion pour diversifier ses pratiques. Je trouve que c’est également un bon levier d’innovation pédagogique.
Dans la plupart des sections (pré-bac ou post-bac), le travail hors temps scolaire reste problématique pour la majorité des élèves/étudiants.
Parmi les pistes d’amélioration possibles, il y a l’utilisation de vidéos didactisées. Plusieurs solutions en ligne permettent d’intégrer des questions dans des vidéos. Les réponses de l’élève sont ainsi évaluées en cours de lecture et non après coup, un smartphone peut être utilisé (→ accessibilité facilitée). Pour accroître le taux de participation, je prends en compte les notes obtenues uniquement si elles ne pénalisent pas l’élève et je précise que l’évaluation finale contiendra - entre autres - des questions déjà traitées dans la vidéo (→ incitation à visionner renforcée).

Pour ceux qui souhaiteraient en savoir plus : https://pedagogie.ac-reunion.fr/economie-gestion/numerique-educatif/dossiers-thematiques/la-classe-inversee.html

Nicolas