Évaluer des compétences : pourquoi et comment ?

Conférence donnée par Xavier Sorbe le 4 décembre 2009
mercredi 9 décembre 2009
par  Nathalie AH-PINE

Compte rendu de la conférence donnée par Xavier Sorbe, inspecteur général de mathématiques, le 4 décembre 2009, en clôture du colloque des 10 ans de l’IREM. Notes prises par Nathalie Ah-Pine, animatrice de l’IREM, responsable d’un atelier sur l’évaluation du socle commun.

(Voir aussi le texte complet de cette conférence dans la rubrique « 10 ans de l’IREM ».)

Tout d’abord M. Sorbe explique rapidement pourquoi il est aujourd’hui devenu incontournable d’évaluer par compétences : il y a la Loi. Le socle est un texte de loi depuis 2005. Cette loi est très forte : 100 % des élèves doivent avoir acquis le socle. Pour expliquer pourquoi ce socle a été mis en place, il y a des actions bien en amont au niveau national : l’Europe de la connaissance avec les compétences du socle, le niveau A2 en langue, le B2I en informatique, etc.

Pourtant il faut bien remarquer que, quatre ans plus tard, ce socle ne s’est pas généralisé à l’ensemble des établissements. Le peu d’engouement constaté traduit un fait : il est difficile, en l’état actuel des pratiques, de mettre en place le socle. Voilà justement ce qui bloque l’introduction de l’évaluation par compétences : il faudrait changer nos pratiques pour répondre aux besoins de chacun de nos élèves.

M. Sorbe nous présente ensuite quelques principes qui lui semblent incontournables pour progresser dans ce changement de pratiques. Tout en admettant que c’est compliqué, il va développer cinq bonnes raisons pour réussir le socle.

1. Se fonder sur les potentialités de chaque élève

Beaucoup d’élèves issus de catégories socio-professionnelles défavorisées s’interdisent des filières longues comme médecine (où l’on ne trouve que 5 % d’étudiants issus de milieux ouvriers). Or cette auto-interdiction pose problème au niveau des orientations. Cette auto-censure est en partie provoquée par l’Institution elle-même qui n’encourage pas les élèves à oser. La crainte de l’échec est plus forte que l’envie de réussir ! M. Sorbe rappelle combien la mixité sociale et surtout l’estime de soi sont importantes pour la réussite scolaire de tous les élèves.

Aussi, pour croire en les possibilités de nos élèves, il faudrait changer d’état d’esprit. L’introduction du socle et l’évaluation par compétences, c’est surtout ce changement-là.
On pourrait se demander pourquoi organiser la réussite des élèves autour des compétences et non pas des contenus. Mais si on faisait un sondage auprès des adultes, que leur reste-t-il de leurs études en mathématiques ? Sûrement peu de connaissances...

M. Sorbe présente ensuite un exemple. La production de l’élève est mal organisée, pas rédigée, la réponse est erronée. Cependant, même s’il n’aboutit pas, il semble avoir compris la situation. Avec un système traditionnel de notation chiffrée, cet élève perd beaucoup de points, ou plutôt n’en gagne pas... pourtant il a manifesté des attitudes qui mériteraient d’être valorisées.

2. Évaluer plutôt que noter

M. Sorbe rappelle qu’aujourd’hui la tendance est à noter tout et tout le monde. La note fait partie du décor : les parents, les élèves, les chefs d’établissements la réclament. Pourtant elle n’est pas toujours stimulante pour l’élève. C’est même plutôt un chantage qu’une motivation.

Or cette note est un obstacle. Elle a beaucoup de défauts, elle n’est pas objective. Plusieurs expériences l’ont prouvé : d’un enseignant à l’autre, du début à la fin du paquet de copies, d’un jour à l’autre, la note peut changer avec des écarts non négligeables. Sans parler de la constante macabre d’André Antibi, la note écrase les informations sur les acquis des élèves.

Il existe pourtant d’autres systèmes d’évaluation. On peut citer à ce sujet ceux qui sont pratiqués par certains pays nordiques. Il ne s’agit pas pour nous de changer de façon brutale, mais d’avancer un peu. Ainsi on pourrait imaginer d’apprécier une production d’élève à partir des quatre composantes C1, C2, C3, C4 de la résolution de problème en mathématiques. Certes ces compétences sont larges, ce qui pourrait nous déstabiliser un peu au début. En même temps il paraît difficile d’évaluer plus pour chacun de nos élèves. Quant à noter ces compétences, ce n’est pas la finalité.

Dans cette logique de compétences et d’évaluation, M. Sorbe précise qu’il ne s’agit pas pour chaque élève d’atteindre la perfection, tel un chirurgien qui n’aurait pas droit à l’erreur. Non, nous sommes en situation d’apprentissage. Tout n’est pas binaire.

3. Former avant tout

Notre rôle est de faire apprendre. Notre rôle n’est pas de dispenser à tout prix une formation scientifique d’une rigueur extrême à chaque élève. L’idée est de former les élèves à une certaine rigueur, à un certain mode de pensée. Les élèves doivent certes apprendre un certain nombre de choses, mais ils doivent surtout progresser. Ainsi nos pratiques doivent être riches pour permettre à chaque élève d’aller plus loin dans ses apprentissages : faire de l’oral, du travail de groupe, des exercices avec ou sans trace écrite, avec ou sans rédaction, des activités qui permettent à chacun de s’engager dans l’activité et d’aller ensuite le plus loin possible. Nous devons encourager l’idée que la première production de l’élève ne soit qu’un brouillon.

La lecture des programmes rappelle que socle et programmes sont distincts. C’est peut-être une première étape pour changer nos pratiques : les élèves les plus habiles peuvent aller plus loin, mais tous peuvent entrer dans l’activité grâce au socle.

Les programmes placent aussi la résolution de problème au coeur de notre travail. Or cette résolution de problème est une question transdisciplinaire : elle revient dans toutes les disciplines (EPS, sciences...). Cette résolution de problème a suscité de nombreux débats par le passé. M. Sorbe fait une mise au point, en rappelant qu’il y a eu deux courants. Certains défendaient l’idée que sans une bonne maîtrise de la technique, il n’était pas possible de résoudre des problèmes. Ils privilégiaient donc l’aspect technique et répétitif des notions mathématiques. D’autres, au contraire, pensaient que toutes les notions devaient être introduites par un problème à résoudre. Les premiers reprochaient aux seconds de ne pas sortir de ces problèmes et le fait que les élèves se satisfaisaient d’une technique rudimentaire (celle avec laquelle ils avaient résolu le problème d’introduction) sans passer à la technique performante et générale.

Le socle se situe entre les deux : il faut faire le plus de problèmes possible pour donner du sens aux apprentissages, mais on ne peut pas non plus échapper à certains automatismes. En revanche, au lieu de se contenter d’un exercice de conversion sur les durées, on pourrait imaginer un problème de lecture de grille d’horaires de trains amenant l’élève à répondre à des questions. Une telle situation est riche et concrète.

4. Donner du temps aux élèves

Il semble qu’en classe on n’ait jamais le temps ! Les nouveaux programmes préconisent une progression spiralée. Ainsi chaque notion est enrichie au fur et à mesure du déroulement de l’année. Il ne s’agit pas de voir une notion une seule fois et de déclarer qu’elle est définitivement acquise ou pas sans y être revenu au moins une autre fois. Il faut admettre que les élèves ont besoin de temps pour assimiler.

Il est donc important d’évaluer dans la durée. Nos contrôles actuels, avec leurs notes, nous obligent à segmenter les savoirs. Or une compétence ne s’évalue pas sur une heure au cours d’un contrôle, ni sur un exercice donné. Une compétence s’évalue au fur et à mesure qu’elle est rencontrée dans l’année.

Enfin il faut prendre en compte les possibilités de chaque élève. Il est envisageable d’évaluer sans attendre une production parfaite. Une démarche engagée, même « non mathématique » est à considérer positivement. De même si la rédaction est maladroite, mais que le raisonnement est pertinent.

5. Différencier enfin

La différenciation ne fonctionnera que si nous avons la volonté de différencier nos énoncés. Non pas en partageant notre temps entre les élèves, mais en rendant chaque énoncé abordable par tous, en faisant en sorte que les questions soient progressives dans l’ « expertise ».

Nos exigences aussi doivent s’adapter aux possibilités des élèves. Ainsi on pourrait différencier ce qui relève du raisonnement et ce qui relève de la rédaction : à force de confondre les deux, on décourage des élèves qui pourraient tenir de bons raisonnements.

Conclusion

L’évaluation des compétences a besoin d’être pilotée. Il est nécessaire que le principal du collège travaille en liaison avec les collègues. On ne part pas de zéro, il y a eu des expériences, l’évaluation par compétences se fait déjà dans d’autres disciplines comme les langues, l’EPS, les sciences. Ils ont levé bien des obstacles, pourquoi pas nous ?

Nous devons être ambitieux et raisonnables. Ambitieux parce que nous voulons faire acquérir à tous les élèves des compétences, une culture et une certaine ouverture d’esprit pour leur vie professionnelle future et leur vie de citoyen. Mais nous devons aussi être raisonnables : il est temps de s’y mettre. Inspirons-nous de ce qui a déjà été fait sans pour autant choisir des grilles longues et fastidieuses qui nous obligeraient à passer notre temps à mettre des croix toute l’année. À nous de bâtir nos propres outils et notre mode d’évaluation au sein de l’établissement.


Commentaires

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mercredi 9 décembre 2009 à 10h05 - par  Philippe Janvier IA-IPR de mathématiques

Merci pour ce résumé fidèle. Cordialement. Philippe Janvier

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