Le plan de Moulton

Une géométrie qui contient de nombreux contre-exemples de situations standards
dimanche 17 mai 2009
par  Yves MARTIN

Peu d’articles traitent du plan de Moulton. Pourtant cette géométrie est intéressante à étudier — au moins en formation des enseignants — car c’est une géométrie dans laquelle l’axiome d’Euclide est vérifié, où l’on dispose d’un milieu de deux points, d’une orthogonalité conforme, mais où rien ne fonctionne comme on le connaît de manière standard : une belle expérience pour remettre en cause nos propres représentations.

Il y a deux façons d’aborder la géométrie : soit après les constructions des structures usuelles (au moins de groupe, voire d’espace vectoriel), soit à partir d’axiomes sur les configurations de base.
Dans le premier cas, on travaille généralement sur un corps de nombre donné (généralement seulement, on verra dans d’autres articles que ce n’est pas nécessaire), dans le second cas, la structure des nombres est issue des propriétés des configurations de la géométrie.

C’est dans ce contexte que le traité de Hilbert sur Les fondements de la géométrie (1899 pour la 1re édition, 1937 pour la 10e) montre le rôle fondamental que joue le théorème de Desargues dans la construction des nombres. Sans lui, la multiplication des nombres ne serait pas associative, et on ne peut pas construire une géométrie des coordonnées. Dès la première édition, Hilbert donne un exemple de ce qu’il appelle une « géométrie non arguésienne », c’est-à-dire une géométrie où tous les axiomes qu’il demande pour reconstruire R x R (l’objet de son traité) sont vérifiés sauf un, celui qui permet de montrer [1] le théorème (ici affine) de Desargues. Son modèle est un peu complexe, c’est une géométrie qui se situe à l’intérieur d’une ellipse ...

Dès 1905, Moulton propose, dans un article de 4 pages, une construction élémentaire d’une géométrie non arguésienne sur le plan R x R, reprise ensuite par Hilbert dans les éditions postérieures de son traité.

Mais cette géométrie n’a pas été beaucoup étudiée au delà de ce pourquoi elle a été construite, pour une raison très simple : il y a 4 cas à envisager pour exprimer la droite (AB), selon les positions de A et B dans le plan, ce qui fait 64 cas possibles pour un triangle et 256 cas pour un quadrilatère... on comprend que ce soit vite inabordable.

Si on peut implémenter cette géométrie dans un logiciel de géométrie dynamique, c’est-à-dire, pour ces 4 cas produire un seul objet du logiciel, sur lequel on pourra prendre un point et gérer les intersections, alors cette implémentation va permettre une exploration qui en fait n’a jamais pu être faite auparavant : la géométrie dynamique permet alors une investigation dans une géométrie comme on ne pouvait pas la faire auparavant.

Et la puissance de CaRMetal, sa gestion des if then else dans les coordonnées, permet de produire facilement un unique objet « droite de Moulton » ou « Segment de Moulton » ou encore « Parallèle de Moulton » comme expliqué dans cette ancienne page sur le sujet.

Et quand l’exploration de cette géométrie commence, a priori pour une connaissance culturelle sur le sujet, l’intérêt — en particulier du formateur — change peu à peu. Cette géométrie, si facilement abordable maintenant qu’elle est implémentée, est tellement différente de ce que l’on peut avoir rencontré auparavant, et parce qu’elle contient - dans une géométrie qui vérifie l’axiome d’Euclide- des contre-exemple à nos représentations de plusieurs concepts importants, elle acquiert rapidement un intérêt didactique propre. Les autres géométries non euclidiennes standard, parce qu’elles sont arguésiennes, n’ont pas cette étrangeté d’une géométrie qui oblige à repenser chaque concept que l’on va engager...

C’est ce que nous allons regarder maintenant.

1. Définitions des droites - La question de l’affine

<carmetal|doc=328|largeur=790|hauteur=523>

Les droites et les parallèles étant précisées, voyons la construction d’un parallélogramme et surtout du milieu de deux points par la propriété du parallélogramme. En effet, dans toute structure connue, dès que l’on dispose de l’axiome d’Euclide, on sait que l’on peut construire le milieu de deux points à partir d’un parallélogramme : ce sera notre premier contre exemple. On dispose bien des parallèles comme attendu, on disposera même d’un milieu, mais celui-ci ne va pas être affine.

<carmetal|doc=334|largeur=790|hauteur=523>

2. Un quadrilatère particulier

Puisque le plan est localement euclidien, sur une droite, on peut mener - localement - des perpendiculaires. En s’arrangeant pour qu’elle soient de pente positives, ce seront aussi des droites de Moulton. On peut ainsi construire un quadrilatère ayant ses 4 angles droits :

<carmetal|doc=330|largeur=790|hauteur=523>

Cette figure est intéressante car les rectangles — comme quadrilatère à 4 angles droits — n’existent ni en géométrie hyperbolique ni en géométrie elliptique. Dans cette géométrie, ils ont d’autres propriétés que dans le cas euclidien, même si la somme de leurs angle fait bien 360°.

Dans les autres géométries, on peut définir des polygones réguliers mais la somme des angles ne fait jamais la valeur euclidienne usuelle.

3. L’orthogonalité

S’il y a 4 cas à traiter pour définir une droite passant par deux points A et B, il y a 8 cas à traiter pour définir une droite passant par M orthogonale à une droite (AB) donnée. C’est grâce à la puissance interne d’un logiciel comme CaRMetal — que n’avaient pas les logiciels de la génération précédente — qu’on peut produire un unique objet « droite perpendiculaire ».

La figure suivante peut dérouter au départ. En fait cet article se propose aussi d’être une introduction à un diaporama plus complet sur le sujet, disponible sur le site de CaRMetal (lien en fin d’article). Avant de présenter cette situation d’orthogonalité, 4 figures préalables, sur les angles, sont proposées, avec des manipulations détaillées. Et dans cette succession, cette figure arrive naturellement, sans vraiment provoquer de réelle surprise. Là, nous prenons un vrai raccourci ;-)

<carmetal|doc=331|largeur=790|hauteur=523>

Pour se faire un peu plus à l’orthogonalité, rien de mieux que d’étudier les hauteurs d’un triangle...

<carmetal|doc=332|largeur=790|hauteur=523>

Belle récréation, n’est-ce pas ? Terminons cette micro présentation par un second contre exemple à nos représentations euclidiennes.

4. Orthogonalité et distance minimale

On s’intéresse à la plus petite distance d’un point à une droite. Dans certains cas, cette distance minimale n’est généralement pas un segment. Si on cherche la distance minimale réalisée par un segment, alors celle n’est pas réalisée par le segment orthogonal.

<carmetal|doc=333|largeur=790|hauteur=523>

5. Autres propriétés

Pour ne pas alourdir une présentation sous SPIP nous avons limité cette présentation à 6 figures. On en trouvera 11 autres dans le diaporama Moulton de la Galerie des utilisateurs de CaRMetal.

On y verra successivement (en plus des figures précédentes) :

    • le théorème de Desargues ;
    • l’impossibilité de construire une géométrie des coordonnées ;
    • la non relation angle/distance dans les triangles « isocèles » ;
    • la somme des angles d’un triangle qui peut être inférieure ou supérieure à 180° ;
    • le fait que la longueur ne soit pas une distance ;
    • avant d’aborder l’orthogonalité plusieurs figures sur les angles ;
    • la non relation entre mouvement et congruence illustrée sur l’unique axiome de Hilbert que ne vérifie pas la géométrie de Moulton.

Le diaporama se termine par deux figures plus fun à découvrir.

Un dossier plus ancien (avec des figures moins abouties sur le plan de la présentation — il n’y avait ni aimantation ni popup dans les figures) précise les méthode de constructions, introduit plus en détail la démarche de Hilbert, aborde d’autres objets comme le cercle, la médiatrice, la bissectrice, et propose les macros en téléchargement.


[1il faut s’assurer avant cela de l’indépendance des axiomes, ceci est fait par groupement des axiomes


Documents joints

DroitesDeMoulton
RectangleDeMoulton
PerpMoulton
HauteursMoulton
DistMinMoulton
MilieuMoulton

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