Jeux pour introduire la numération binaire

dimanche 2 juin 2019
par  Alain BUSSER , Ariel FRECKHAUS

Présentation, en avant-première, des poids de Leibniz à Michèle Artigue

L’abaque de Neper

L’abaque de Neper, dont le fonctionnement a été décrit sur MathemaTICE, peut être considéré comme un portage binaire de l’abaque de Gerbert. Les additions et multiplications sont assez rapides à exécuter avec cet abaque.

Voici l’abaque (Édouard Lucas l’appelait échiquier) proprement dit :

pièces ou billets ?

On a essayé les jeux (constituer des entiers avec les valeurs monétaires en £eibits) à la fois avec des pièces et avec des billets. L’activité avec les billets est plus facile à mettre en œuvre, pour les raisons évoquées ici :

Quoiqu’il en soit, voici le fichier permettant d’imprimer en 3D les pièces de monnaie en £eibits :

Soumis à l’imprimante 3D, ce fichier produit les pièces suivantes :

Si on veut payer la somme de dix £eibits, il n’y a qu’un moyen [1] : Une pièce de 8 £eibits et une pièce de 2 £eibits. Comme les pièces sortent de l’imprimante, on n’a pas encore enlevé le « support » gris et en ajoutant, à l’envers, les pièces non utilisées, on voit l’écriture binaire de dix :

En écrivant 1 pour chaque pièce à l’endroit et 0 pour chaque pièce à l’envers, on a 00001010 qui est l’écriture binaire de dix.

Les billets

Les figures

Les pièces de monnaie (« face ») et encore plus les billets de banque, portent des visages de personnages. Pour les billets en binaire, on a choisi de rendre hommage à

  • Francis Bacon (1561-1626) qui a publié un procédé cryptographique basé sur le binaire, et qu’on peut considérer comme précurseur du codage Ascii.
  • John Neper (1550-1617), auteur d’une version binaire de l’abaque de Gerbert.
  • Leibniz (1646-1716) qui a eu les idées sur les billets et les masses, et verbalisé le concept de calculus ratiocinator ramenant des problèmes de décision à du calcul binaire ;
  • George Boole (1815-1864), qui a ramené à de l’algèbre les opérations logiques (pas en avant pour le calculus ratiocinator)
  • Édouard Lucas (1842-1891) qui a perfectionné l’abaque de Neper, fait connaître la solution du jeu du baguenaudier basée sur le binaire (inventée par son contemporain Louis Gros], et inventé des jeux basés sur le binaire comme la tour d’Hanoï ou le tour de magie décrit ci-dessous.
  • Emil Post (1912-1954), auteur (plus de 10 ans avant Turing) du concept de machine (ou « ouvrier ») de Post, qui effectue du calcul binaire.
  • Alan Turing (1912-1954] qui, avec les machines de Turing, a généralisé les machines de Post, et qui a cablé l’un des premiers circuits de multiplication binaire.
  • Claude Shannon (1916-2001), qui a ramené à des opérations booléennes tous les calculs imaginables.

Dans un premier temps, on confie à un enfant une liasse de billets (mettons de 1 à 64 £eibits) et on lui demande d’effectuer des achats fictifs dont le montant (par exemple 25 £eibits) est donné. Le commerçant ne rendant pas la monnaie, l’enfant doit faire l’appoint. Comment ?

L’activité est très clairement considérée comme ludique et peut rapidement devenir, en plus, mentale [2]. La pratique de cet « exercice » permet de s’habituer au fait que tout nombre entier compris entre, disons 1 et 127, peut s’écrire de manière unique comme une somme de puissances de 2 judicieusement choisies. C’est essentiellement en cela que consiste l’écriture binaire des entiers. Par exemple comme 25=16+8+1, on écrit 0011001 le nombre 25, en binaire (avec les billets allant jusqu’à 64 £eibits).

Ensuite, on peut rapidement utiliser cette représentation pour apprendre à poser les nombres sur le puzzle d’addition binaire, mais on peut aussi aller vers d’autres activités comme la soustraction binaire. Par exemple pour calculer en binaire 32-25, on imagine qu’un client paye avec un billet de 32 £eibits alors que le montant est 25, et on veut savoir combien le commerçant doit lui rendre [3].

Il n’est pas impossible que pour garder une trace écrite de leurs manipulations, les enfants en arrivent spontanément à ce genre de tableau :

poids 64 32 16 8 4 2 1
chiffres 1 1 1

voire :

poids 64 32 16 8 4 2 1
chiffres 0 0 1 1 0 0 1

Ce qui revient à une écriture binaire des nombres considérés.

Des jeux de billets similaires peuvent être faits non seulement pour d’autres suites géométriques, mais aussi pour des suites comme celle de Fibonacci, menant à la découverte du théorème de Zeckendorf.

Les pièces

Une fois les billets maîtrisés pour représenter en binaire des nombres entiers, on peut envisager l’utilisation conjointe de billets et de pièces pour représenter des nombres non entiers. Au lieu de multiplier par 2 pour passer au poids du chiffre à gauche, on va diviser par 2 pour passer de chaque pièce à la suivante (chiffre de droite). Les pièces ont donc pour valeurs respectives 1/2, 1/4, 1/8 et 1/16 de £eibit :

Avec 4 pièces, l’unité monétaire la plus petite est donc le seizième de £eibit. On peut pour imiter la notion de centime, appeler bitonio le seizième de £eibit. Les pièces ont alors un côté pile en plus du côté face :

Elles valent respectivement 8 bitonios (1/2 £eibit), 4 bitonios (1/4 £eibit), 2 bitonios (1/8 £eibit) et 1 bitonio (1/16 £eibit).

On remarque l’il n’est pas possible de diviser en 5 parties égales (et encore moins en dix parties égales) un £eibit avec ces 4 pièces :

En fait il faudrait un nombre infini de pièces de valeurs tendant vers 0, pour représenter exactement 1/5 en binaire. C’est la raison pour laquelle, en Python, 0,1×3 n’est pas égal à 0,3.

Les poids de Leibniz

Fabrication

Pour obtenir des masses suivant une progression géométrique de raison 2 (préconisées par Leibniz en 1703) il faut connaître la masse volumique du matériau de l’imprimante 3D, ainsi que les dimensions permettant d’obtenir un volume donné. Comme l’impression 3D produit des pièces de volume calculable, c’est plutôt le volume massique qui a été estimé. En effet c’est en multipliant le volume massique par la masse souhaitée qu’on obtient le volume souhaité. Pour un cylindre de rayon R et de hauteur 2R, le volume est 2πR3. Autrement dit le diamètre (et la hauteur) du cylindre sont proportionnels à la racine cubique de la masse et suivent donc une progression géométrique de raison 21/3. Le tout est de trouver le coefficient de proportionnalité. Cela a été fait de manière empirique à partir des pièces du puzzle binaire.

Voici les masses dont les valeurs, en grammes, suivent une progression géométrique de raison 2 :

Et voici les mesures effectuées sur ces masses :

diamètre hauteur volume masse masse volumique
5,51 5,56 132,5769033 128,3 0,9677402082
4,378 4,42 66,53706887 64 0,9618698431
3,482 3,55 33,8045974 32 0,9466168055
2,776 2,814 17,03149997 16,3 0,9570501736
2,178 2,2 8,196497543 7,8 0,9516259792
1,726 1,746 4,08522239 3,8 0,9301819184
1,378 1,418 2,114776849 1,9 0,8984399471
1,08 1,11 1,016858144 0,9 0,8850792075

En estimant à environ 1 cm³ le volume de la plus petite masse, et comme la masse totale visée est 255g, on a un volume de plus de 250 cm³ à imprimer, ce qui prend plusieurs heures. L’imprimante 3D affiche ceci :

Miracle, une fois sorties de l’imprimante, et après avoir enlevé le « support » en trop, on obtient bel et bien une masse totale de 255g environ :

Pour convertir un nombre binaire en décimal à l’aide d’une balance, on pose les masses bit par bit sur la balance et on affiche la masse totale.

Par exemple, si on veut convertir 25 en binaire, on constate que pour faire 25 grammes il faut poser sur la balance les masses de 16g, 8g et 1g :

Ce qui donne la représentation binaire de 25 par ce tableau :

128 64 32 16 8 4 2 1
0 0 0 1 1 0 0 1

En binaire, 25 s’écrit 00011001.

Séjour chez les tarés

Pour écrire en binaire la masse d’un objet (ci-dessous, la maquette d’une pile de pont) on peut commencer par effectuer une tare sur l’objet, puis, après avoir enlevé l’objet, poser les masses qui permettent d’annuler le poids détaré.

Le total des masses annulant la tare est 64+16+8+2+1=91 grammes ; ça on le savait en tarant le modèle 3D, mais on obtient en plus l’écriture binaire de cette masse : 01011011.

Cerise sur le gâteau, on apprend par cette manipulation le principe de la conversion analogique-numérique.

La magie de Lucas

Voici les fiches du magicien :

Fabrication

Les fiches sont en fait des fichiers textes, chacun contenant une liste de nombres et ayant pour nom le plus petit de ces nombres. Voici les originaux qui ont servi à faire le pdf ci-dessus :

Et le script Python ayant servi à les fabriquer :

Explication du code :

  1. On définit, pour usage ultérieur, une fonction chiffre qui renvoie la chiffre binaire en position n de l’entier k ;
  2. Pour cela on convertit k en binaire -avec bin()) puis on récupère le caractère à n positions de la fin, et on le convertit en entier.
  3. On boucle sur les rangs n possibles (n=1 pour le dernier chiffre et n=7 pour le premier chiffre)
  4. p est la valeur du chiffre au rang n (1 pour n=1, 64 pour n=7)
  5. on ouvre un fichier appelé fiche1.txt à fiche64.txt en écriture et on lui donne le nom « fichier ».
  6. pos est la position horizontale dans le fichier texte. On va s’en servir pour écrire sur 8 colonnes [4].
  7. Pour chaque entier k allant de 1 à 99, on va voir s’il est sur la fiche ou non.
  8. Pour cela on regarde si le chiffre en position n est 1.
  9. Si oui, on écrit l’entier k sur la fiche ;
  10. puis on ajoute une espace (pour ne pas coller les nombres entre eux) ;
  11. puis on passe à la colonne suivante.
  12. Si le numéro de la colonne est un multiple de 8,
  13. alors on va à la ligne (en écrivant dans le fichier le caractère « aller à la ligne »)

Utilisation

Le magicien, comme presque tous les magiciens, demande à une personne du public de choisir au hasard un nombre de 1 ou 2 chiffres (en décimal). Puis distribue les fiches et demande à la personne d’extraire parmi les fiches, celles où figure le nombre choisi.

Puis la personne remet les fiches au magicien, qui devine presque instantanément le nombre choisi. Magie !!!

Y’a un truc

Le magicien additionne les nombres figurant en tête de chaque fiche. Par exemple si les fiches proposées commencent respectivement par 1, 8 et 16, le magicien calcule 1+8+16 et annonce que le nombre choisi est 25.

On remarque que dans ce jeu seul le magicien manipule le binaire. Et sans forcément en être conscient. Le jeu est décrit dans le tome 1 des récréations mathématiques sous le nom de « jeu de l’éventail ». Il date donc d’avant 1890 et est probablement d’Édouard Lucas.

Les puzzles

Compteur binaire

Le principe de ce compteur a été exposé sur MathemaTICE puis sur ce site. Ce qui est nouveau, c’est la version 3D, manipulable par les enfants. Deux contraintes garantissent l’unicité des solutions :

  • Le point doit toujours être placé en bas à droite du chiffre ;
  • Commencer à résoudre le puzzle, par le coin en haut à droite du puzzle.

Voici le puzzle pour imprimante 3D :

Voici le puzzle, une fois complété ; on y voit la suite des représentations binaires des entiers allant de 1 à 15 :

Il faut environ 20 minutes pour compléter ce puzzle. Le début est essentiellement consacré au rangement des pièces.

Un autre prototype a été imprimé en 3D, il ne compte que jusqu’à 4 et se résout plus vite :

Voici ce puzzle, une fois résolu ; il montre les écritures binaires des nombres allant de 1 à 4 :

Additionneur binaire

L’additionneur binaire a déjà été présenté

On n’en parlera donc plus ici, hormis pour rappeler que les élèves les plus jeunes ayant effectué des additions avec ce puzzle étaient en CE2, et donner les plans des pièces du puzzle en 3D :

moitié gauche du cadre
moitié droite du cadre
pièces du haut et du bas (à imprimer en deux fois)
pièces d’addition (à imprimer en 4 fois)
pièces de gauche (2 retenues possibles)

Après avoir imprimé tous ces fichiers (en faisant attention à respecter la cohérence des dimensions, il s’agit d’un puzzle !) de manière à disposer d’un nombre suffisant de pièces, il faut coller entre elles les deux moitiés du cadre puis coller le tout sur une planche servant de fond. Puis éventuellement limer les pièces du puzzle pour qu’elles s’ajustent sans trop avoir à forcer. Enfin, on a mis de la peinture sur les inscriptions (en relief) pour les rendre plus lisibles de loin.

Voici le récit d’une activité menée en CM1, faisant appel à l’utilisation conjointe des billets en £eibits et du puzzle d’addition :


[1En termes mathématiques, on dit que tout entier naturel possède une décomposition unique comme somme de puissances de 2, que l’on appelle écriture binaire de cet entier.

[2Les additions peuvent être faites mentalement mais l’apprentissage par cœur des puissances de 2 se fait automatiquement et permet rapidement de rendre mentale la totalité de l’activité

[3Il n’est pas nécessaire que le client ne donne qu’un seul billet, on peut rendre la monnaie sur toute somme supérieure au montant de l’achat. Par exemple si la personne donne 50 £eibits (soit des billets de 32, 16 et 2 £eibits), le commerçant doit lui rendre 50-25=25 £eibits ce qu’il peut faire en rendant d’abord les 18 £eibits de trop puis rendre la monnaie sur 32, soit 18+7=(16+2)+(4+2+1) qu’il peut encore simplifier par des groupements échanges pour aboutir à 16+8+1

[4Lucas écrivait tous les nombres l’un en-dessous de l’autre et disposait les fiches en éventail, d’où le nom de « jeu de l’éventail » qu’il avait donné à ce tour de magie. Cette disposition ne s’applique pas bien à des fiches comportant autant de nombres.


Documents joints

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Portfolio

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Commentaires

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lundi 27 janvier 2020 à 20h43 - par  Conoir Lionnel

Bonjour,
Je trouve ce jeu très approprié pour la numération binaire.
Je souhaitai également signalé une petite erreur de date sur les billets : Emil Leon Post est né en 1897 (et non 1912 comme A. turing)
Cordialement,
L. Conoir

PS : inutile de faire apparaître ce commentaire.