En 1980, un concours de création de jeux vidéos a été lancé (sans doute pour des raisons commerciales). Le gagnant, Hiroyuki Imabayashi, a inventé l’un des jeux vidéos les plus simples qui soient : Sokoban, dont le nom original s’écrit ainsi :
La simplicité du jeu et de son univers en font un classique exercice de programmation : Le héros du jeu est un rubis rouge (dans la version ci-dessous) qui se déplace sur des points à coordonnées entières, sauf si un obstacle appelé mur (en vert ci-dessous), s’y oppose. Ce héros peut pousser une caisse à la fois (les caisses sont ci-dessous représentées par des saphirs) sauf si derrière cette caisse se trouve un mur. Des emplacements privilégiés sont destinés à accueillir les caisses, et lorsque chaque caisse est sur un de ces emplacements, le jeu est fini. C’est tout. Le succès de ce jeu est un peu mystérieux si l’on songe à cette simplicité...
Variations
Depuis 1980, le jeu a évolué, on peut citer
- Hexoban, dont le damier est hexagonal ; une variante avec des triangles équilatéraux existe également ;
- Multiban qui a plusieurs joueurs : Parfois l’un peut pousser lorsque l’autre aurait voulu tirer ;
- Sokoban pousse 2 où le héros est un peu plus fort et peut pousser jusqu’à deux caisses. On rebaptise pousse 1 le Sokoban originel. Voici un exemple :
On voit que Sokoban pousse 2 est plus facile que Sokoban pousse 1.
- Sokoban pousse 3 : On devine ce que c’est.
- Sokoban pousse n dans lequel il n’y a pas de limite supérieure au nombre de caisses qui peuvent être poussées simultanément. À noter qu’aucune implémentation connue de ces variantes ne semble exister.
- Pukoban est en quelque sorte un Sokoban « pousse +/-1 » puisqu’on peut aussi tirer la caisse.
- et on a vu dans l’article sur Enigma que celui-ci contient beaucoup de Sokoban classiques ou de variantes (notamment Multiban).
Addition
Voici un niveau de Sokoban créé par David Skinner. Il ressemble à un manoir muni de quatre chambres, disposées ainsi :
ACC | R1 |
SAS | R2 |
La chambre « ACC » (pour « accumulateur ») est pour l’instant, vide, ainsi que le sas qui y mène. La chambre R1 contient une caisse, ce qu’on peut noter par R1=1. Et la chambre R2 contient deux caisses, ce qu’on peut noter par R2=2 :
Même si ça peut sembler ridicule, en utilisant la numération en base 1 des machines de Turing, la résolution de ce niveau de Sokoban revient à effectuer l’addition 1+2=3.
File d’attente
Dans cet autre niveau de David Skinner, le plan du manoir ressemble à ceci :
buffer | M5 | ||
M1 | M2 | M3 | M4 |
On constate que les chambres M1, M2, M3, M4 et M5 sont trop petites pour abriter plus d’une caisse à la fois sans créer une situation bloquante. Elles modélisent des mémoires binaires. Et pour transférer une caisse de la cellule M(i) à la cellule M(i+1), il faut d’abord vider celle-ci. Ce qui fait que les caisses ne peuvent être transférées que dans l’ordre M5-M4-M3-M2-M1 : La partie du bas du manoir simule le fonctionnement d’une file (structure de données), très utile en informatique, en particulier dans les serveurs et les systèmes multitâches.
La grande chambre qui sert à stocker provisoirement les premières caisses transférées joue alors le rôle d’une mémoire tampon comme celle qu’on trouve dans les imprimantes...
Mémoires
Memoire binaire
Ce niveau est extrait d’un article fondateur qui démontre que le jeu de Sokoban peut simuler une machine de Turing !
Le circuit ne peut être parcouru que dans un sens, et en le parcourant le héros change le sens de parcours autorisé. Le système existe donc dans deux états possibles, et il est possible de le faire basculer d’un état à l’autre : C’est une mémoire binaire, ou bascule simple.
Mémoire effaçable
Avec ces éléments, les auteurs de l’article suscité ont en quelque sorte joué au LEGO, assemblant des briques de ce genre pour fabriquer des sommets (très gros en Sokoban) d’un graphe implémentant une machine de Turing !
Ainsi, le jeu de Sokoban apporte une nouvelle pierre à l’édifice de la thèse de Church-Turing, en permettant une nouvelle définition d’une fonction calculable :
On dit qu’une fonction est calculable s’il existe un jeu de Sokoban dont la résolution représente les valeurs prises par cette fonction. |
Machine de Turing
Voici un exemple (très simple mais d’une taille raisonnable : On reconnaît les quatre cases qui constituent un morceau de la bande de la machine de Turing) :
En fait cette machine de Turing a été obtenue en mettant bout à bout des structures de mémoire à sens unique vues dans l’onglet précédent. La tête de lecture peut être personnifiée par le héros du jeu. Et les cellules mémoires sont considérées comme étant sur « 0 » dans leur état gagnant (les deux caisses à leur place) et « 1 » dans leur état perdant (les deux caisses à côté de leurs pompes).
La machine de Turing émulée ne fait que remplacer des 0 par des 1 de gauche à droite, puis les annuler à nouveau de droite à gauche ; en bref, une sorte de LIFO simplifiée. Voici la machine de Turing émulée :
La construction
- d’un jeu de Sokoban qui construit la suite de Fibonacci
- d’un jeu de Sokoban qui teste la primalité d’un nombre
est laissée en exercice ;-)
Les niveaux de Sokoban de cet article ont été créés avec le logiciel YASC puis filmées avec wink.
Toute ressemblance avec des magasiniers japonais réels ou imaginaires est purement fortuite.
Aucun rubis ni aucun saphir n’a été blessé ou maltraité durant l’écriture de cet article.
Pour une idée de ce que serait un Sokoban en 3D, essayer kiki le nanorobot ou MentalIQ+.
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