Un exercice original = une réflexion didactique

samedi 30 mars 2013
par  Jean-Marc BRESLAW

Le département de mathématiques de l’université de Boston propose sous l’appellation PROMYS un stage de 6 semaines à de jeunes lycéens pour les sensibiliser à la recherche en mathématiques.

Afin de sélectionner les candidats, une série d’exercices leur sont proposés. Ces exercices sont présentés comme accessibles à tout élève de lycée, sans connaissance particulière s’il sait organiser sa recherche.

Nous faisons part ici des réflexions didactiques qui nous ont été inspirées par trois exercices originaux extraits de cette série, ainsi que par un exercice tiré de l’histoire des mathématiques.

1. Recherche et éducation en mathématiques

1. Recherche et éducation en mathématiques


Voici l’un de ces exercices qui montre comment les auteurs ont forcé le traitement de la transposition didactique afin de pouvoir distinguer les dispositions de chercheur du niveau de simple bon (voire très bon) élève.


1) Soit n un entier non nul, montrer que $n^4 + 2n^3 + 2n^2 + 2n + 1$ ne peut pas être le carré d’un nombre entier.

2) Trouver tous les nombres entiers n non nuls tels que $n^4 + n^3 + n^2 + n + 1$ soit le carré d’un entier.


La première question est à la portée d’un bon élève de seconde bien entraîné aux factorisations :

$n^2(n^2 +2n+1)+n^2 +2n+1=(n+1)^2(n^2 +1)$

et il reste à conclure que cela est un carré si et seulement si $n^2 + 1$ en est un, ce qui n’est jamais réalisé.

La deuxième question est bien plus insidieuse :

La réaction naturelle est d’exploiter la première, soit en appliquant des procédés de factorisation identiques, soit en cherchant à faire apparaître l’expression sur laquelle on a une information.

Le bon élève a érigé cette démarche en "principe" : savoir utiliser les questions précédentes.

Le chercheur procède de même, mais il doit aussi savoir abandonner les pistes conduisant à des impasses et en essayer d’autres. Cette démarche se heurte à deux obstacles énormes dans le contexte de l’école :

  • L’élève est évalué sur la base d’une panoplie de "capacités" normalisantes.
  • Le temps de l’école est découpé.

Pire même, le jeune élève qui aurait des dispositions pour la recherche sera pénalisé s’il n’est pas capable de gérer ces deux paramètres de façon à assurer sa réussite. Il est alors du domaine de l’enseignant de maîtriser ces situations pour que ces élèves (surdoués) ne pâtissent pas des contraintes de l’école.

Cette réflexion conduit à une critique constructive de la "pédagogie par objectifs".

Revenons donc à cette deuxième question :

Après quelques heures de recherche sur les factorisations diverses et variées, on devrait se résoudre à simuler le calcul à l’aide d’un tableur par exemple. On émettra alors la conjecture que seul $n=3$ donne une solution au problème.

Là encore, une école soucieuse de gérer le temps aurait posé la question : montrer que $n=3$ est la seule solution au problème.

La recherche s’en trouve amputée d’autant, mais quel est donc le rôle de l’école ? Que ses détracteurs commencent par se poser clairement la question !

Donc, une fois identifiée une conjecture, nous disposons de nouveaux outils. Le raisonnement par l’absurde, par exemple, devient "naturel" dans une démarche basée sur la conjecture, alors qu’il reste abstrait dans une démarche scolastique. Attention, cela ne veut pas dire que ce mode de raisonnement n’est pas enseignable, il l’est, mais il figurera dans la panoplie des connaissances de la majorité des élèves dont la réussite n’est pas à remettre en question, à la même place que Marignan 1515.

Terminons maintenant l’exercice :

Si 3 est le seul entier qui répond à la question, on devrait trouver quelque majoration significative des solutions possibles.

On ne tardera pas avec un peu d’astuce à imaginer que $\Big(n^2 + \frac{n}{2} + 1\Big)^2$ est trop grand et que $\Big(n^2 + \frac{n}{2}\Big)^2$ est trop petit. Je pense que l’on devrait rechercher alors des expressions de la forme $\Big(n^2+\frac{n}{2} +a\Big)^2$ avec $0

Alors :

$\Big(n^2+\frac{n}{2} +\frac{1}{2}\Big)^2=n^4+n^3+\frac{5}{4} n^2+\frac{n}{2}+\frac{1}{4}$

et donc :

$1+n+n^2+n^3+n^4=n^4+n^3+\frac{5}{4}n^2+\frac{n}{2}+\frac{1}{4}$

ce qui conduit à l’équation $n^2-2n-3=0$, dont la seule racine positive est 3.

On a bien : $1 + 3 + 3^2 + 3^3 + 3^4 = 11^2$.


Documents joints

PDF - 99.7 kio
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Commentaires

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lundi 15 janvier 2018 à 19h56 - par  jlaurens

Dans la correction du premier exercice l’argument de choix de n^2+n/2+1/2 est incomplet. En effet cette expression n’est pas entière si n est pair, il faut préciser « pour n = 3 » quelque part
Cordialement

Logo de breslaw suite à une remarque d’un lecteur
dimanche 15 septembre 2013 à 16h16 - par  breslaw suite à une remarque d’un lecteur

le “contrat” est encore plus présent qu’on ne l’imagine dans ce texte.
En effet va-t-il vraiment de soi que les groupes d’abeilles décrits forment naturellement une partition de l’essaim ? et si tel n’était pas le cas, comment les différentes solutions s’agenceraient-t-elles ?
Il est alors intéressant de dégager les “constantes” du problème :
1) le nombre d’abeilles de l’essaim se doit d’être un multiple de 15, notons le 15k
2) les plantes recueillent toujours 3k pour le bananier, 5k pour le lotus et 6k pour le codaga et il en reste au moins k.
Il serait bon à ce stade d’imposer que tout l’essaim soit concerné par la description, ce qui n’est pas clairement exprimé, sinon tout nombre de la forme 15k pourrait convenir !
Sous cette dernière hypothèse, nous voyons que les abeilles restant pour voleter entre jasmin et pandanus forment un groupe dont l’effectif va de k à 15k, et si il n’y a qu’une abeille dans ce groupe, alors k=1 et l’essaim est constitué de 15 abeilles et les groupes forment effectivement une partition, ce qui devient une nécessité et non une hypothèse.