Implication et causalité

mardi 5 décembre 2017
par  Alain BUSSER

Le programme de 2nde insiste sur la distinction à faire entre implication et causalité. Sur ce point les ateliers de logique menés depuis 2014 ont anticipé sur le programme, puisque l’implication et la causalité ont été les thèmes centraux des exposés présentés ci-dessous.

Sophisme du procureur

Cette présentation date du séminaire de l’IREM de novembre 2015 ; elle porte essentiellement sur le lien entre causalité et probabilités conditionnelles. Le cas de Lucia de Berk est une illustration du « sophisme du procureur » qui, dans ce cas, consiste essentiellement à confondre une implication avec sa réciproque :

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Mais il y a aussi une confusion entre causalité et corrélation : Le fait que Lucia ait été présente ne prouve pas qu’elle soit coupable, mais même s’il y avait eu relation de cause à effet, la simple corrélation ne suffisait pas à décider si le bébé est mort parce que Lucia était là, ou si Lucia était là parce que le bébé mourait (Lucia étant infirmière spécialisée dans les urgences pédiatriques).

Lien entre démontrabilité et vérité

Le séminaire d’avril 2016 a été l’occasion de présenter les travaux des divers membres de l’atelier « logique » de l’IREM. La seconde partie, consacrée au lien entre vérité et démontrabilité, a permis d’évoquer une histoire de la logique mathématique basée sur les paradoxes de l’implication :

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À la bibliographie qui figure en fin de diaporama, on peut ajouter les articles suivants :

Lors de la présentation, les réactions ont été nombreuses et donc intéressantes, sur le paradoxe de Curry :

Si la présente proposition est vraie alors 2+2=5

Sous réserve que le tiers exclu soit vrai, on peut raisonner par disjonction des cas :

  • ou bien la proposition est fausse et alors, comme ladite proposition est une implication, sa prémisse est vraie (le seul cas où une implication est fausse est celui où sa prémisse est vraie alors que sa conclusion est fausse). Donc on est de toute façon amené au second cas :
  • La proposition est vraie. Mais la proposition est à la fois une implication et la prémisse de cette implication : Le modus ponens permet alors de conclure que 2+2=5.

Bien que le raisonnement ci-dessus soit basé sur le tiers exclu et puisse ainsi être considéré comme une démonstration par l’absurde de la logique intuitionniste (qui refuse le tiers exclu), la plupart des personnes de l’assistance ont réagi à l’aspect autoréférentiel de ce paradoxe. Ce qui montre à quel point le tiers exclu est ancré dans les mentalités occidentales. L’autoréférence (interdite par Tarski dans ce cas parce qu’il y a mélange entre le langage « est vrai » et le métalangage « cette proposition ») permet d’ailleurs de montrer comment Curry a trouvé ce paradoxe par le λ-calcul, avec un opérateur qui ne se réduit pas : En essayant de détailler la proposition, on devrait remplacer « cette proposition » par l’énoncé complet de la proposition, ce qui amène successivement à :

  • si cette proposition est vraie alors 2+2=5 ;
  • si « si cette proposition est vraie alors 2+2=5 » est vrai, alors 2+2=5 ;
  • si « si « si cette proposition est vraie alors 2+2=5 » est vrai, alors 2+2=5 » est vrai, alors 2+2=5 ;
  • etc

Cette manière de reléguer au grenier, et à l’infini, l’interprétation de la proposition, montre le mécanisme du théorème de Tarski. L’idée que le paradoxe ne soit paradoxal qu’à l’infini a semblé satisfaire l’auditoire, et a permis d’éluder la nécessité de refuser le tiers exclu. De plus, on ne peut s’empêcher de trouver une certaine ressemblance avec What the Tortoise said to Achilles, où on retrouve ce genre de développement infini, mais chez Lewis Carroll, ce sont les règles de déduction qui ne se réduisent pas.

Implication et causalité

Le programme du lycée mis à jour en 2017 précise que « les élèves doivent distinguer implication et causalité ». C’est à cette distinction qu’a été consacré le séminaire de novembre 2017. L’exposé, de plus de deux heures, peut se résumer en 3 points (hormis le test évoqué plus bas) :

  1. Depuis Aristote et surtout Boole et Frege, les opérations booléennes primitives sont la négation, la conjonction et la disjonction [1] ; On définit notamment l’implication p⇒q comme la proposition [2] ¬p∨q ;
  2. mais durant la seconde moitié du XIXe siècle, Charles Sanders Peirce a proposé d’inverser en quelque sorte les définitions, en définissant la conjonction et la disjonction à partir de l’implication et la négation [3]. On retrouve ce travail chez Whitehead et Russel mais aussi chez Hilbert. La recherche d’une logique plus « naturelle » que celle de Hilbert a mené au système hypothético-déductif de Gentzen et à une recherche de formalisation de la logique inductive. Mais celle-ci mène au paradoxe de Hempel, lui aussi basé sur l’implication [4].
  3. Sans négation, point d’implication et Minsky a fait cette remarque que pour que des influx nerveux puissent être aiguillés de façon « logicielle » il faut des liaisons inhibitrices et des neurones supplémentaires soit, une capacité à douter (inhibition) et du temps (les neurones ralentissent l’influx nerveux).

Cela a permis d’évoquer les travaux d’Olivier Houdé sur les erreurs de logique : L’avant du cerveau où se concentre l’activité neuronale lorsqu’on raisonne correctement est plus lent que l’arrière (reconnaissance de formes) où se concentre l’activité lors d’erreurs de raisonnement. Olivier Houdé nous conseille d’apprendre à résister c’est-à-dire d’inhiber l’arrière du cerveau et nous donner le temps de raisonner calmement et correctement.

Résultats du test

Les boîtes ci-dessous, dessinées par le logiciel R, montrent graphiquement une certaine tendance à prendre plus de temps lorsqu’on répond juste que lorsqu’on répond faux :

Ce que confirment les IRM fonctionnelles d’Olivier Houdé, les réponses justes étant en général associées à une plus grande activité à l’avant du cerveau, qui est plus lent à mettre en œuvre que l’arrière (le plus actif lorsqu’on commet des erreurs de raisonnement).

L’expertise d’Hubert Raymondaud en R permet de décomposer l’analyse question par question ce qui permet de voir que la situation est plus complexe lorsqu’on l’analyse question par question :

Le lien entre lenteur de réflexion et correction de la réponse est peu significatif au regard de la taille des effectifs (de surcroît a priori peu représentatifs) mais on constate qu’il apparaît plus net sur les questions

  • 4 : Dans un casino, tous les fumeurs sont buveurs. Aucun joueur n’est fumeur. Trouver quoi conclure passe par la traduction de aucun joueur n’est fumeur en aucun fumeur n’est joueur proposée par Lewis Carroll : Cela prend du temps.
  • 5 : La carte D dans la tâche de sélection de Wason : On peut supposer que les réponses justes sont dûes à des « joueurs » prudents qui ont flairé un piège là où en vérité il n’y en avait pas.
  • 7 : La carte 5 dans le test de Wason : Le raisonnement passe par un modus tollens qui, là encore, prend du temps.

On remarque que pour certaines questions ce sont les réponses justes qui ont été les plus rapides. Il y a peut-être moyen d’expliquer cela pour les questions

  • 3 (Barbara (syllogisme)) : Automatisme illustrant essentiellement le caractère non représentatif de l’échantillon (culture logique) ;
  • 6 (carte 7 du test de Wason) : « prudence » consistant à retourner systématiquement toutes les cartes, menant ici par hasard à une réponse bonne ;
  • 8 (carte K du test de Wason) : Là encore réponse juste par hasard.

Voici la présentation du 22 novembre 2017 :

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Mais il faut reconnaître que sans le son, certaines de ces diapos sont assez énigmatiques...

Implication chez Smullyan

Les énigmes de Smullyan avec les Purs et les Pires sont axées sur les notions de mensonge et de négation. Ce qui donne un autre point de vue sur l’implication, insistant sur le fait que si une implication est fausse alors sa prémisse est vraie.

séminaire du 2 mai 2018

Cela a donné lieu à des questions sur des habitantes de Puropira, à chaque fois avec le même QCM :

  • elle est pure
  • elle est pire
  • on ne peut pas savoir

Voici les situations (à chaque fois les noms des habitantes sont A, B, C etc de gauche à droite) :

Un principe commun à la résolution de ces énigmes est le suivant : Si une pire dit que p implique q alors p est vraie. Un autre est une proposition est vraie si et seulement si elle est conséquence de sa négation. Voyons ce que cela donne pour la situation 2, où A dit « Si A est pure alors 2+2=4 ». Si A est pire alors cette implication est fausse ce qui signifie que sa prémisse est vraie et sa conclusion est fausse. Mais sa prémisse est « A est pure » donc si A est pire alors elle est pure. Le second principe ci-dessus permet de conclure que A est pure. Ce qui répond à la question. Sauf qu’à aucun moment on n’a utilisé le fait que 2+2=4 et en remplaçant 4 par 5 on retrouve le paradoxe de Curry...


[1l’une des deux dernières seulement depuis De Morgan, qui permet de définir l’autre avec la négation et la première des deux

[2La définition vérifonctionnelle de l’implication remonte aux stoïciens ; Clarence Irving Lewis a proposé la logique modale pour une définition non vérifonctionnelle, en disant par exemple que pour que q résulte de p, la proposition p⇒q doit non seulement être vraie, mais même être nécessairement vraie

[3la négation peut elle-même être définie à partir de l’implication et une antilogie, par exemple ¬p est équivalent à p⇒2+2=5

[4Le paradoxe de Curry a fait son come-back dans cet exposé parce que lui aussi est basé sur l’implication.


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