Le récit de Flacourt, quoique parfois complexe, est plutôt évasif par moments et pour reconstituer le fifangha il est souvent nécessaire de faire des hypothèses. Pour ceci, comme l’écrit Flacourt,
Ce jeu est assez récréatif, et s’apprend plus facilement en jouant, que de parole.
On va donc simuler ici une partie et, à chaque étape, expliciter les hypothèses.
Le fifangha est un jeu d’esprit [...], il tient [...] du Trictrac.
Début du jeu
Flacourt écrit :
On garnit premièrement les 12 cases du milieu de chacun un basia.
Comme chacun avait 32 graines en tout et en a placé 6 (dans les cases de sa rangée intérieure autres que les tibongs), il lui reste 26 cases dans sa réserve. Comme un tour de jeu commence par le transfert d’une graine, depuis la réserve vers le plateau, chaque joueur joue au maximum 26 fois.
On suppose que c’est Sud qui joue en premier.
Tour 1
Sud joue.
Puis le premier joueur porte un basia dans une des cases du milieu [...],
et prend le basia dans la case opposée à celle où il a placé son basia et le porte dans un des 2 [...] tibong qui sont de son côté.
Plus loin, on généralisera cette règle à
Pour jouer un tour, on prélève une des graines de sa réserve, la place dans une des cases non vides de sa rangée intérieure, puis on prend toutes les graines qui sont en face (dans la rangée intérieure de l’adversaire), et on les sème à partir d’un de ses tibongs.
Flacourt ne précisant pas comment on détermine à partir de quel tibong on démarre le semis, on fait l’hypothèse que c’est au choix, du moins lorsque les deux tibongs sont vides.
Tour 2
Nord joue.
L’autre joueur a un basia dans sa main et le place dans [...] une des [...] cases du milieu qui sont de son côté et prend le basia de la case opposée et le porte à un des deux [...] tibongs qui sont de son côté.
Flacourt sous-entend qu’il y a un basia dans la case opposée, ce qui mène à cette règle :
On joue prioritairement une case occupée qui fait face à une case occupée.
Tour 3
Sud joue à nouveau.
Le premier joueur prend un basia dans le réservoir et le place dans une des cases de son côté,
et prend le basia opposé et le porte au [...] tibong de son côté,
et s’il y a un basia dans le tibong opposé, il le prend avec ceux qui sont dans son [...] tibong,
puis en porte une dans le second tsibongy qui est de son côté et porte un autre dans une case et le dernier qu’il a en sa main dans la case qui suit et si, à l’opposé, il y a un basia,
il le prend et le porte dans le [...] tibong qu’il a de garni.
Note : le « s’il y a un basia » suggère qu’il peut ne pas y en avoir, et renforce l’idée qu’on puisse choisir le tibong où on sème.
On découvre aussi
- le caractère récursif de la règle du jeu : si la dernière graine d’un semis tombe dans une case non vide, c’est comme si on venait de démarrer un tour de jeu, on prend les graines de l’adversaire et on les sème à partir d’un tibong de son choix.
- La particularité du tibong : si on place une graine dans un tibong, on ne prend pas que les graines de l’adversaire mais aussi les siennes propres (celles qui étaient dans le tibong) et on sème le tout, non pas à partir du tibong, mais de la case voisine.
- le fait qu’on sème les graines une par une et la suite dépend de l’endroit où tombe la dernière graine, notamment si elle tombe dans une case non vide et qu’il y a quelque chose à prendre en face.
- Flacourt évoque une obligation : « le tibong qu’il a de garni ». La règle serait qu’on joue en priorité l’autre tibong (celui qui est à l’opposé de celui qu’on a joué). Mais dans le cas présent cette règle n’est pas applicable puisque les deux tibongs étaient vides.
On va donc considérer cette règle comme une tactique : il est avantageux de prendre autant qu’on peut, or semer une graine dans un tibong non vide, permet de prendre les graines de l’adversaire.
Ou alors, Flacourt voulait écrire « dégarni » et alors on devait mettre la graine dans le tibong depuis lequel avait démarré ce semis : on reprend le semis à partir du tibong que l’on vient de vider, etc jusqu’à ce que la dernière graine d’un semis tombe dans une case vide.
Flacourt ne précise pas ce qu’il faut faire si le semis finit dans un tibong non vide en face duquel il y a plusieurs graines. Le plus simple est de supposer qu’on commence aussi par la case voisine du tibong (celle que Flacourt appelle second tibong).
Tour 4
Nord joue à nouveau, et attaque la case 6 :
Nord prend alors les deux graines de Sud qui étaient dans la case 6, puis les sème à partir d’un tibong (celui de gauche) :
Du coup, la dernière graine semée tombe sur une case non vide, ce qui permet à Nord d’attaquer à nouveau :
Maintenant Nord attaque un tibong : il prend la graine de Sud et l’ajoute à son tibong :
puis sème le tout, à partir de la case suivante, vers le centre du plateau :
Tour 5
Sud joue.
Sa seule possibilité est de jouer la case 4 parce que les autres cases sont, ou bien vides (donc non jouables), ou bien face à des cases vides (donc non prioritaires).
Sud ajoute donc une graine de sa réserve à la case 4, prend la graine d’en face et la place dans un de ses tibongs :
La position obtenue est alors intéressante : aucun des deux joueurs ne peut prendre de graine à son adversaire.
si les cases à l’opposé de celles où vous avez des basia sont dégarnies et que les autres cases de votre adversaire qui ne sont pas opposées à celles qui sont garnies devant vous, soient garnies, vous faites alors Mamoneatrika.
Mamenoatrika
Le mameno-atrika est une réorganisation des graines (ici, dans le camp de Nord) sans prise. Il consiste à
- ajouter une graine dans une des cases centrales non vides,
- prendre le contenu de cette case,
- semer ces graines à partir de la case voisine de celle qu’on vient de vider,
- et si la dernière graine tombe dans une case non vide, recommencer : prendre les graines de cette case et les semer etc.
vous portez un basia dans une de vos cases garnies
et vous prenez (avec celui que vous y avez mis), tous les basia qui y sont et en portez un à droite ou à gauche (comme voudrez) dans la case prochaine, l’autre en suivant, jusqu’à ce que le dernier basia soit posé ;
s’il y a un basia ou plusieurs dans cette dernière case vous enlevez encore tout et en garnissez une case en suivant, comme vous avez commencé, et si vous êtes au dernier tibong de ce côté là et qu’il vous en reste dans la main, vous en portez aux cases de derrière,
et s’il y en avait tant dans votre main que toutes les cases de derrière fussent garnies chacune, de ceux que vous y auriez mis, vous porterez le reste au tibong suivant en continuant jusqu’à ce que vous ayez trouvé une case vide où vous laissez le dernier basia, et cela s’appelle mandry (c’est-à-dire dormir, ou se reposer).
Le terme mandry suggère qu’un mameno-atrika peut durer très longtemps, vu que vers la fin du jeu, il peut arriver (comme en témoigne Flacourt) qu’un mameno-atrika continue au-delà de la dernière ligne, et revienne vers la première ligne.
Un mameno-atrika se fait soit vers la gauche, soit vers la droite, mais on ne change pas de sens au cours du mameno-atrika. Par ailleurs, on ne prend pas de graines à l’adversaire lors d’un mameno-atrika.
∞
Le terme mandry (se reposer) pour la fin d’un mameno-atrika, suggère que le maneno-atrika peut durer très longtemps. De fait, le trakatra qui est l’équivalent pour le m’raha wa n’tso est réputé durer si longtemps que l’existence d’un trakatra infini est connue. Dans ce cas, on décrète que celui qui a démarré ce tour infini est perdant du jeu.
L’exploration de cette situation mène à deux théorèmes de Bruno Pagani :
- Il n’existe pas de tour de jeu infini avec prise de graine à l’adversaire au cours du tour.
- Il n’existe pas de tour de jeu infini apériodique.
Le premier théorème est un corollaire du second. Un exemple de mameno-atrika infini a été présenté lors du séminaire du 11 octobre 2023 :
Cependant, on ignore si ce genre de position peut apparaître au cours d’un jeu réel.
On propose donc la règle du jeu suivante (la plus simple qui soit cohérente avec la description de Flacourt) :
- Il y a quatre possibilités pour la dernière graine d’un semis :
- elle tombe dans une case vide ; dans ce cas le tour de jeu s’arrête ;
- elle tombe dans une case non vide ne permettant pas de prise de graine adverse (case dans la rangée externe ou case non vide faisant face à une case adverse vide) ; dans ce cas on sème ses graines comme au katro, à partir d’une case voisine ;
- elle tombe dans un tibong non vide ; dans ce cas on y ajoute les éventuelles graines du tibong adverse puis on sème le tout comme au katro, à partir de la case voisine (vers l’intérieur) ;
- elle tombe dans une case non vide faisant face à une case adverse non vide : dans ce cas on ne prend que les graines de la case adverse, et on les sème à partir d’un tibong de son choix, vers l’intérieur du plateau.
- Démarrer un tour de jeu consiste à prendre une graine de sa réserve puis l’ajouter à une case non vide de sa rangée intérieure, puis faire comme si c’était la dernière graine d’un semis [2]. Il est donc interdit de placer cette graine dans la rangée extérieure ou dans une case vide. Il est également interdit de faire un mameno-atrika s’il est possible de prendre des graines à l’adversaire : la prise de graines est obligatoire.
- Si on ne peut pas prendre de graine dès le début d’un tour de jeu, on fait un mameno-atrika : on pose une graine de la réserve sur une case non vide, puis on sème toutes les graines qu’elle contient (y compris celle qu’on vient d’ajouter) à partir d’une des cases voisines, en respectant toujours le même sens de rotation qu’on a choisi au début du tour, et jusqu’à ce que la dernière graine d’un semis tombe dans une case vide. Durant un mameno-atrika, même si à un moment la dernière graine d’un semis tombe dans une case non vide de la rangée interne faisant face à une case non vide de l’adversaire, on ne prend pas les graines de cette case : on continue le mameno-atrika sans prendre de graines.
- Le joueur qui démarre un mameno-atrika infini est perdant du jeu.
- Le premier joueur qui ne peut pas jouer parce que sa rangée intérieure a perdu le jeu :
quand les tsibongy et cases de votre côté sont dégarnis vous avez perdu (et de même à l’opposé), et cela s’appelle kamou.
Ici par exemple le joueur Sud est kamo :
Voici la règle du jeu (avec une complication sur le tibong, où on propose que l’attaque d’un tibong adverse contenant au moins 2 graines se fait comme pour une autre case en semant à partir du tibong ; cette complication est un emprunt à Dandouau) sous forme de FAQ :
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