Quelques gouttes de logique pour finaliser une construction géométrique

Quand le cercle est « morganisé »
dimanche 3 mai 2009
par  Yves MARTIN

Puisque la logique entre dans les nouveaux programmes pourquoi ne pas l’utiliser en géométrie ? C’est l’occasion de faire se rencontrer ces deux images contradictoires des mathématiques : l’intemporalité fondamentale de ses concepts (les structures, les nombres existent hors du temps) et de sa démarche hypothético-déductive, et la séquence induite paradoxalement - comme ici - avec les preuves par séparation des cas qu’il faut dérouler temporellement : Cas 1, Cas 2 ....
Nous allons utiliser les booléens pour unifier ces deux points de vue, de manière opérationnelle ...

Le support est une activité probablement issue d’un rallye mathématique (désolé, je ne prenais pas de notes à l’époque), un problème ouvert de première ou terminale dont l’objectif mathématique est le réinvestissement des propriétés du cercle et la rédaction fine d’une preuve par séparation des cas.

1. Le texte du problème

On se donne un (vrai) triangle ABC et on cherche à l’englober dans un cercle (ou un disque fermé si on préfère) de rayon minimum.

Voici une figure de base pour explorer le problème

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2. Réflexions initiales d’élèves

Même les élèves - nous sommes en S - se disent que si le problème est posé c’est déjà que le cercle circonscrit n’est pas la solution. Pourtant si on cherche, c’est « souvent la solution ». Donc c’est que « c’est pas toujours la solution » et il faut chercher des critères pour savoir quand c’est ou ce n’est pas le cercle circonscrit.

Didactiquement on voit que les figures connues restent prégnantes et qu’il ne va pas sans doute pas être facile de s’en détacher. D’où le débat scientifique, version contemporaine et adaptée à notre discipline du socio-constructivisme de Vygotsky.

3. Une première analyse du problème.

Dans un premier temps, on voit que si un cercle ne contient aucun des trois points A, B, ou C, on peut diminuer son rayon jusqu’à ce qu’il rencontre un premier point. Il ne faut pas longtemps pour voir que si un cercle passe par un point et qu’il contient les deux autres, on peut réduire son rayon jusqu’à ce qu’il rencontre un second point.

C’est autour du troisième point que, selon la façon dont les choses ont été amenées par les élèves, selon leurs représentations, la situation peut-être plus ou moins facile. Mais le fait de voir collectivement une figure que l’on peut contraindre partiellement selon les propositions des élèves permet d’avancer assez rapidement.

Figure plus avancée pour l’investigation au cours de cette lecture

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Cette figure n’est pas représentative d’un travail en classe, les boutons sont là pour voir différentes étapes. En classe entière au vidéo projecteur on construirait les objets au fur et à mesure de l’évolution de la réflexion.

Ainsi même une remarque a priori assez confuse comme « c’est le cercle de diamètre le plus grand côté sauf si le 3e sommet n’est pas dedans » permet de réagir en faisant la figure et en mettant l’accent sur la propriété du cercle associée à « si le sommet n’est pas dedans ».
Par ailleurs la difficulté des raisonnements sur les longueurs des côtés invite - quand elle est réactivée comme ici - à basculer sur des considérations d’angle.

4. Bilan de la situation

On finit donc, plus ou moins rapidement en classe, à l’analyse suivante :
• si l’un des angles est supérieur à un droit, le centre du cercle solution est le milieu du côté opposé
• sinon c’est le centre circonscrit au cercle.

Généralement l’idée de chercher algorithmiquement un point par lequel passe le cercle n’émerge pas du tout, mais la question se posera au moment de la construction effective. Et il est intéressant de laisser la question se posr.

D’une certaine façon, nous allons être - localement, le temps de cet exercice et la construction de ce cercle - dans la « ma formule lapidaire préférée » de Vergnaud, à savoir « la forme opératoire de la connaissance est supérieure à la forme prédicative de la connaissance ».

5. Mise en place de la figure associée

Une fois la situation décrite comme ci-dessus, il faut préciser les cas et les centres des cercles, au minimum. On construit sur la figure précédente les milieux des cotés I, J, K, opposés à A, B, C respectivement, et O le centre du cercle circonscrit au triangle. L’idée générale est de transformer le cercle de centre U passant par V utilisé pour l’exploration du problème, en donnant à U et à V des contraintes liées à la situation rencontrée. C’est là qu’interviennent les booléens.

Nous allons appeler EnI, une variable qui sera vraie quand le centre du cercle devra être en I et fausse sinon. Si a1 est l’angle en A il suffit d’écrire cela :

L’intérêt est que cette variable EnI ne prend pas vraiment les valeurs VRAI et FAUX mais en fait 1 ou 0. Elle est donc directement utilisable comme variable dans des expressions arithmétiques. On fait de même pour les autres sommets en créant les variables EnJ et EnK. Reste le cas où le centre du cercle solution doit être le point O. Quelle valeur donner à EnO ?

EnO doit être égal à 1 si les trois autres sont nulles. D’un point de vue logique, et avec la syntaxe CaRMetal on écrirait :
En0 = !(EnI || EnJ || EnK) où || est le OU et ! la négation.

Mais en classe, sauf travail spécifique sur la logique, il est probablement plus simple de chercher des expressions seulement arithmétiques, par exemple avec le produit des complémentaires (en liaison avec les probabilités si on est en terminale) :

EnO = (1-EnI)*(1-EnJ)*(1-EnK)

d’où le sous-titre de l’article avec la « morganisation » du cercle, clin d’oeil avec l’organisation mathématique : m-organisation du cercle.

En formation continue, un collègue a remarqué que, comme il n’y a qu’un seul angle éventuellement supérieur à un droit, seule une valeur des trois variable peut -être égale à 1, ce qui aboutit à une écriture plus simple de EnO comme : EnO = 1-EnI-EnJ-EnK.

On peut éventuellement déjà taper les coordonnées du centre du cercle U :

En pratique si - comme ci-dessus - les coordonnées sont liées, il suffit de taper celle de l’abscisse pour que l’ordonnée se remplisse simultanément.

En classe, selon l’aisance des élèves avec la géométrie dynamique en général, avec ce type de travail en particulier, les élèves vont prendre ou non des initiatives. S’ils n’en prennent pas, la question se posera « et alors pour V ? ». On peut aussi rencontrer le cas où quelques élèves prennent l’initiative de placer V en un sommet du triangle (un x(V)=x(A) suffit) et, rencontrant des cas incohérents peuvent rapidement [1] conclure que « la formule du centre n’est pas bonne, ça ne marche pas » !

Dans les deux cas il est facile de lancer la réflexion sur le fait qu’on ne s’est pas encore intéressé au point V. et que ce point doit être lui aussi précisé en fonction des cas.

Il y a de nombreuses façons de donner une expression pour les coordonnées de V selon les regroupements que l’on veut faire, toutefois avec un invariant : il n’y a que deux cas. On peut fixer un sommet pour deux milieux contigüs et un autre sommet pour les deux autres cas. Par exemple parmi ces possibilités :

En terminale on peut même envisager de faire une recherche du nombre d’écritures différentes.

6. Figure finale

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Dans la figure finale on sera attentif à ne pas conditionner des couleurs différentes pour des centres différents : on pourrait croire à des cercles différents. Une façon de vérifier que l’on a bien construit un seul cercle est de construire un objet - par exemple un segment - ayant un point constituant sur ce cercle : l’existence de l’objet dans tous les cas assure l’unicité du cercle construit.

7. Conclusion

Ce petit exercice de logique, directement appliqué à un usage en géométrie, est l’occasion de faire le lien entre l’objet mathématique cherché, unique, sa description, séquencée par des cas, et sa construction, dans cet environnement riche, en définitive en cohérence avec l’objet mathématique, puisque le cercle construit est aussi unique, englobant dans sa définition - par un mélange d’écriture algébrique et booléenne, la description des différents cas.


[1ce qui relativise la connaissance opératoire quand elle est un peu trop « en acte » s’il y en avait besoin ...


Documents joints

exploration initiale
exploration intermédiaire
figure finale
(la seule à télécharger)

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