Énigmes policières mathématiques

dimanche 9 septembre 2012
par  Nathalie AH-PINE , Nathalie ROZÉ

Dans la continuité du travail que nous avions entrepris avec une classe de 6e en 2010-2011 (écriture et mise en scène de « contes mathématiques » : voir nos articles sur ce site, accompagnés des contes écrits et des films réalisés), nous avons, au fil de l’année 2011-2012, mené un deuxième projet français-maths, ayant cette fois pour objet l’élaboration d’« énigmes policières mathématiques », en classe de 5e.

Les énigmes policières

Danger à La Pointe du Diable

Texte de l’énigme Danger à La Pointe du Diable

Une énigme policière mathématique imaginée et écrite par Olivier, Romain, Florian, Manuella, Nicolas, Vincent, Chimène, Loïc, Alexandra, Nathanaël.

L’hôtel de police de Saint-Pierre était grand, imposant et neuf. À l’intérieur, il y avait même un stand de tir et un gymnase. Les deux inspecteurs, Oriana Montielle et Jacques Bond, étaient dans la salle de tir et jouaient à qui visait le mieux la cible. Cet après-midi-là, Jacques réussissait mieux qu’Oriana. C’était l’heure de la pause, ils rangèrent leurs armes et montèrent les escaliers pour aller prendre une douche. Puis ils partirent prendre un café, juste à côté du commissariat.
— Alors, Oriana, tu as aimé le problème des lingots ? demanda Jacques.
— Oooh oui ! et même que si j’avais été toute seule j’aurais pris un bon gros lingot !
— Ahlàlà ! tu ne changeras jamais, dit Jacques.

Ils avaient résolu le problème des lingots et beaucoup d’autres enquêtes. Oriana avait mauvais caractère, mais elle résolvait les énigmes facilement. Jacques aimait draguer les filles, mais il était sévère et expert en résolution de problème.

Pendant ce temps, la fête du Sakifo, qui avait commencé la veille à la pointe du Diable, attirait beaucoup de monde pour le concert de Michael Maloya.

À 16h30, la standardiste du commissariat, Mme Écoutanou, reçut un appel étrange :
— Allô ? Allô ? Vous m’entendez ?
— Oui, je vous entends, quel est votre problème ?
— Mon problème c’est que je trouve que vous, la police, vous ne travaillez pas assez vos têtes, et c’est pour ça que j’ai décidé de vous mettre à l’épreuve...
— Comment ça à l’épreuve, qu’est-ce que vous êtes en train de manigancer ?
— Oh ! mais rien, à part une bombe... qui va exploser d’ici une heure et demie si vous ne la trouvez pas, et qui est cachée quelque part dans l’île.
— Et comment je pourrais m’assurer que vous dites vrai ? demanda Mme Écoutanou, paniquée.
— Par aucun moyen ! À vous de prendre le risque de me croire ou non. Mais je vais quand même vous donner des indices : j’ai caché la bombe dans une ville qui a été créée en 1735, et le ti’train passait juste à côté de cet endroit... Ah oui, il y a sur ce site neuf panneaux pour les touristes. Bon, je vous appelle dans dix minutes pour voir comment vous vous en sortez, ahahah !

Après avoir cet affreux coup de fil, Mme Écoutanou avertit tout de suite le commissaire, qui fit appel à Oriana et Jacques, revenus à l’hôtel de police.
— Le train passait à cet endroit, tu dis ? demanda Oriana. Et cette ville a été créée en 1735, c’est bien ça ?
— Oui, ça même ! répondit Mme Écoutanou.
— 1735, c’est la date de la fondation de la ville de Saint-Pierre, non ? dit Jacques.
— Mais oui, bien sûr ! Reste à savoir où le train passait à Saint-Pierre, ajouta Oriana.
— Je sais ! s’exclama Jacques. Le train passait sur la côte, vous voyez, le parcours de santé à côté de la pointe du Diable, eh bien avant c’était le passage du ti’train, et c’est là qu’ont été plantés des panneaux d’information sur le site !

Le commissaire intervint :
— La pointe du Diable, vous dites ? Mais il y a un monde incroyable là-bas, c’est le concert de Michael Maloya en ce moment-même ! Le poseur de bombe est complètement fou !
Soudain le téléphone sonna.
— Allô ? Vous avancez ?
— On avance, la bombe est à la pointe du Diable, n’est-ce pas ? dit Jacques.
— C’est très bien, ça ! Alors à 17 heures précises, vous irez regarder dehors, sous le premier banc de la place de la mairie... il y aura quelque chose qui pourrait vous intéresser !

Et le fou raccrocha immédiatement.

Quelques instants avant, l’homme, venu à moto, avait déposé un paquet sous le banc de la place de la mairie. Ensuite il avait couru vers une cabine téléphonique pour passer son appel avant de repartir sur sa moto.

À 17 heures, Oriana et Jacques trouvèrent le paquet sous le banc et retournèrent l’ouvrir au commissariat. Le paquet contenait une photographie de format A3 de la pointe du Diable, avec 16 allumettes fixées dessus, formant cinq carrés, et l’énoncé d’un problème mathématique, qu’Oriana, Jacques et le commissaire commencèrent à lire :

En déplaçant 3 allumettes, vous devez obtenir 4 carrés.
Dans le 4e carré se trouve la bombe. Bonne chance !

Oriana et Jacques commencèrent à réfléchir pendant que le commissaire partait avec d’autres policiers à la pointe du Diable. Il y avait deux démineurs parmi eux.

À la pointe du Diable, il y avait beaucoup de monde et une super ambiance. La foule dansait et chantait en même temps que Michael Maloya, mais le commissaire monta sur la scène, interrompit le chanteur et lui emprunta son micro :
— Mesdames et messieurs, nous sommes désolés, mais nous devons vous demander d’évacuer les lieux, dans le plus grand calme.

À peine le commissaire avait-il annoncé la nouvelle que les gens commencèrent à courir dans tous les sens. Mais les policiers faisaient bien leur travail, et ils réussissaient à évacuer la foule peu à peu. De leur côté les démineurs cherchaient la bombe.

Au commissariat, Oriana et Jacques étaient assis face à face à leur bureau.
— Je vais aller chercher de nouvelles allumettes, dit Oriana.
Pendant ce temps Jacques regardait la carte et les allumettes collées dessus.
— Je vais enlever 3 allumettes, dit Jacques. Comme ça, ça fera 4 carrés !

En même temps Oriana arriva et dit :
— Non, Jacques ! Il ne faut pas enlever mais déplacer les allumettes ! Le fou a écrit que la bombe serait cachée dans le nouveau carré.
— Mais bien sûr ! dit Jacques, je l’avais oublié, désolé.

Oriana s’énervait.
— Je vais relire l’énigme attentivement et je vais aussi refaire les 5 carrés sur mon bureau, dit-elle. Je suis sûre de trouver la bombe après ça !
— Oui, on va la trouver, la bombe, Oriana !

Jacques eut alors une idée :
— Et si on déplaçait les allumettes pour faire 4 carrés disjoints ? Regarde, Oriana.

Il lui montra sa solution.
— Mais non, rappelle-toi qu’il ne faut déplacer que 3 allumettes, or toi tu en as bougé 4 !

Jacques désespérait. Il était déjà 17h30 ! Oriana l’encouragea :
— Il y a forcément une solution et à nous deux on va la trouver, ne t’inquiète pas.

À la même heure, à la pointe du Diable, un admirateur de Michael Maloya s’adressait à un des policiers qui évacuaient la foule :
— Excusez-moi, Monsieur, je m’appelle Jean Barazot, je suis pêcheur et je crois que j’ai quelque chose d’important à vous dire.
— D’accord, mais vite, on doit évacuer les lieux le plus vite possible !
— Voilà, cette nuit, je pêchais des makabis et des poissons-l’aïl juste à côté de la pointe, ici même, quand j’ai vu un individu bizarre rôder par là... quand je suis remonté, je l’ai bien vu, il était avec sa moto sur le parking... et je crois bien que je viens de le croiser, là, tout de suite ! Il avait l’air tout content de voir les gens paniquer !

Au commissariat, Oriana et Jacques décidèrent de reprendre le problème. Ils avaient 16 allumettes et voulaient 4 carrés, et il ne fallait ni ajouter ni enlever les allumettes, ils devaient seulement déplacer 3 allumettes.
Oriana dit :
— Chaque allumette ne doit appartenir qu’à un seul carré, parce qu’il y a 16 allumettes, et comme il faut 4 allumettes pour faire un carré, nous avons assez d’allumettes, donc les carrés doivent être disjoints. Il faut donc supprimer les carrés qui ont deux côtés communs avec d’autres carrés ! C’est-à-dire ces deux carrés-là !

Tout en donnant ses explications Oriana déplaça les allumettes.
— Et voilà !
Jacques lui fit alors remarquer :
— Bravo !!! Mais... il y a quatre solutions, alors ! Regarde.
— Mais oui ! répondit Oriana. Mais deux solutions sont dans la mer !... il reste donc les deux autres solutions : l’une sur la pointe elle-même, et l’autre en-dessous de la chapelle. Il faut qu’on y aille tout de suite !

Ils filèrent vers la voiture de police et montèrent dedans. Jacques conduisait à toute allure pendant qu’Oriana appelait le commissaire et leurs collègues démineurs pour tout leur expliquer. Il était 17h45. Plus qu’un quart d’heure !

Pendant ce temps, à la pointe du Diable, le pêcheur et deux policiers recherchaient toujours le suspect dans la foule.

Sur la route, Oriana et Jacques continuaient à réfléchir : il fallait absolument trouver la solution entre les deux carrés, sinon les démineurs n’auraient jamais le temps de repérer et désamorcer la bombe !
— J’ai trouvé ! s’exclama soudain Oriana. Tu sais, Jacques, la pointe rocheuse elle-même, elle est en basalte !
— Ah oui, et alors ?
— Eh bien le basalte, c’est une pierre trop dure pour y cacher une bombe ! La solution doit donc être le dernier carré, celui qui se trouve sous la chapelle !
— Oui, tu as raison ! Et c’est là où il y a la zone des grottes, la bombe doit donc être cachée dans une des grottes !

Ils prévinrent immédiatement l’équipe sur place. À 17h55, Oriana et Jacques arrivaient à l’emplacement des grottes, où les démineurs venaient enfin de découvrir la bombe et cherchaient à comprendre comment elle fonctionnait, sous l’oeil inquiet du commissaire.
Ils avaient cinq minutes pour la désamorcer.

Pendant ce temps, le pêcheur et les deux policiers cherchaient toujours le suspect.
— C’est lui ! s’écria soudain Jean Barazot.

Les trois hommes essayèrent de le rattraper mais il ne réussirent pas... Mais à ce moment-même Oriana et Jacques, qui avaient vu l’homme courir, l’attrapèrent et lui mirent les menottes.
— Ça y est, on a désamorcé la bombe ! s’exclama alors un des démineurs.
— Il était moins une ! dit le commissaire. Bravo à vous tous, mes chers collègues, vous êtes très forts !

Quelques instants plus tard, les policiers emmenaient le poseur de bombe à l’hôtel de police, et ils le mirent en garde à vue. Le lendemain le fou demanda un avocat. Il ne voulait rien avouer, mais les policiers découvrirent qu’il s’appelait M. Pètetout et qu’il était professeur de mathématiques au collège de Bois d’Olives. Dans l’après-midi des policiers partirent au collège pour fouiller le laboratoire de sciences, où ils finirent par trouver exactement la même bombe que celle que le fou avait fabriquée et placée dans la grotte de la pointe du Diable. Les policiers firent des relevés d’empreintes, et constatèrent qu’il s’agissait partout des mêmes empreintes, celles du professeur de mathématiques fou. Il fut mis en prison en attendant d’être jugé.

L’enquête judiciaire montra que cet homme avait une double personnalité.


Texte de l’énigme Les lingots d’or

Une énigme policière imaginée et écrite par Anissa, Abdouroihamane, Franck, Kenny, Maurine, Réné-Claude, Chrislie, Karim, Yvan, Ophélie et El-Hade, élèves de la 506 du collège Henri-Matisse, Bois d’Olive, Saint-Pierre de la Réunion.

Jacques Bond était un homme plutôt dragueur, sportif, musclé et costaud. Il n’aimait pas que les gens l’embêtent, mais sinon il était sympa. Oriana Montielle était très belle, elle avait une silhouette harmonieuse. Elle s’énervait facilement. Oriana et Jacques étaient de très bons enquêteurs, ils travaillaient tous les deux comme inspecteurs à l’hôtel de police de Saint-Pierre, en face de la mairie. C’était neuf, très grand et silencieux à l’intérieur, il y avait beaucoup de policiers qui travaillaient là.

Ce jour-là, nos deux enquêteurs étaient dans leur bureau en train de boire un café quand Madame Écoutanou, la standardiste, reçut un appel de deux hommes, William et Hervé Kerveguen :
— Nous appelons parce que nous venons de trouver notre père et notre sœur Karima morts dans le salon !
— Je vous envoie deux enquêteurs, répondit Madame Écoutanou. Vous pouvez me dire votre adresse s’il vous plaît ?

— Oui ! C’est à Saint-Pierre, la maison Kerveguen, près de la rivière d’Abord !
— Je vous les envoie tout de suite, ne touchez à rien !
En l’absence du commissaire, Madame Écoutanou prévint sur-le-champ Oriana Montielle et Jacques Bond pour résoudre cette enquête.
— OK ! On y va Jacques et moi ! dit Oriana.
Quand ils arrivèrent dans la maison, ils furent accueillis par les deux frères. Dans le salon au premier étage, ils découvrirent les deux cadavres à terre. Sur une grande table, il y avait une balance, avec 15 lingots d’or dessus, et sur une autre table à côté dix lingots d’or qui traînaient devant des petits coffres. La balance affichait 14,9kg. Oriana et Jacques ne touchèrent à rien et appelèrent leurs collègues de la police scientifique, qui prirent des photos et relevèrent des indices, des empreintes pour trouver l’ADN des personnes qui avaient été présentes dans le salon.
— Regardez, dit Oriana, sur le bar il y a deux verres de whisky à moitié bus. Monsieur Kerveguen père et sa fille ont pu les boire juste avant de mourir.
Eh ! Venez regarder cela, j’ai trouvé dans la poche de monsieur Kerveguen un téléphone déchargé ! Ça doit être son téléphone, ça pourra nous être utile.

Oriana, Jacques et les fils Kerveguen laissèrent la police scientifique finir son travail. Puis les deux enquêteurs emmenèrent les deux frères à l’hôtel de police pour les interroger.
— En fait, dit Hervé, notre père avait demandé à cinq orfèvres de Saint Pierre d’apporter chacun cinq lingots d’or dans le salon. Et puis il nous a expliqué qu’un ami à lui l’avait prévenu qu’un des orfèvres était un escroc, et qu’il faisait des lingots de 900 grammes au lieu d’un kilogramme.
— Oui, c’est ça, continua William, et il faut savoir que notre père était fou de mathématiques. Alors il nous a posé un défi, à Hervé, Karima et moi. Il nous a dit que celui d’entre nous qui réussirait à trouver lequel des cinq orfèvres était un faussaire gagnerait les 25 lingots !
— Waouh, c’est énorme ! s’exclama Oriana. Bon, Jacques, on va demander à Alicia et Boris de retrouver ces cinq orfèvres.

Jacques alla prévenir leurs collègues, Alicia Barazot et Boris Potkol, puis ils reprirent l’interrogatoire :
— Reconstituez vos idées sur la scène des pesées dans le salon en haut.
William expliqua :
— Il y a les cinq bijoutiers qui sont venus à la maison déposer les cinq coffres de lingots sur la grande table, puis ils sont repartis.

Au tour de Hervé d’expliquer :
— Notre père nous a dit qu’on devait utiliser la balance sur l’autre table pour peser les lingots d’or. Mais on n’avait chacun le droit qu’à une seule pesée, c’est ça le problème ! William et moi nous n’avons pas réussi... peut-être que notre sœur Karima a réussi à résoudre cette énigme car elle était très forte en mathématiques.
— D’accord, dit Jacques. Peut-être que l’escroc est celui qui a assassiné votre père et votre soeur !
— Oui, tu as raison, Jacques ! dit Oriana. Et si c’est bien ça, alors on pourra retrouver le coupable... si on arrive, comme votre sœur, à résoudre le problème mathématique ! Cela nous permettra de savoir qui est l’escroc !
Fatigués, les deux inspecteurs décidèrent d’interrompre l’interrogatoire.

Le lendemain, le médecin légiste communiqua à Oriana et Jacques les résultats de l’autopsie : les deux cadavres avaient été tués par balle. Il s’agissait des mêmes balles, provenant de la même arme.

Les deux enquêteurs décidèrent de reprendre l’interrogatoire. Tout d’abord Oriana et Jacques firent entrer les deux enfants Kerveguen dans leur bureau. En premier ils décidèrent d’interroger l’aîné, William , qui leur dit :
— J’ai tout d’abord pris tous les lingots dans le dernier coffre, j’ai pesé les 5 lingots, j’ai trouvé 5kg, ensuite j’ai reposé les 5 lingots que j’avais pris, et je me suis approché d’un autre coffre pour refaire une autre pesée, mais mon père m’en a empêché et m’a dit : « Mais non, mon fils, j’avais dit que t’avais le droit qu’à une seule pesée ! Dommage, mais ça ne sera pas possible, allez maintenant au tour de ton frère Hervé. Allez, Hervé, à ton tour de résoudre l’énigme que j’ai posée, viens mon grand, approche-toi de la table. » Et moi je suis parti, dégoûté.
Hervé dit :
— Je me suis approché de la table et j’ai pris 1 lingot dans chaque coffre. J’ai pesé, au résultat j’ai trouvé 4,9kg. Puis je me suis rendu compte que je n’avais pas réussi l’énigme ! J’étais déçu car je n’aurais pas les lingots d’or. Et mon père a cédé le tour à ma sœur Karima. « À ton tour ma petite fifille », a-t-il dit d’un air heureux.

Hervé fondit en larmes. Oriana lui dit :
— Ne pleurez pas, tenez, voilà un mouchoir pour essuyer vos larmes.
— Merci. Après je suis parti. Karima a dû réussir à résoudre l’énigme, car elle n’était pas qu’intelligente, mais aussi très forte en maths...

Alicia Barazot et Boris Potkol arrivèrent alors dans le bureau. Alicia dit à Oriana et Jacques :
— On est allés dans la boutique de chacun des 5 orfèvres et on les a interrogés.
— Que vous ont-ils dit ?
— Ils ont tous dit qu’ils étaient venus déposer les 5 lingots demandés à la maison Kerveguen et qu’ils étaient repartis. Évidemment, ils ont tous laissé penser qu’ils étaient honnêtes et on n’a trouvé chez eux que des lingots d’un kilogramme !

Oriana et Jacques décidèrent de prendre le temps de réfléchir seuls tous les deux. Ils avaient l’intuition qu’ils devaient absolument réussir à résoudre le problème mathématique pour avancer dans leur enquête. Ils firent des schémas, dessinèrent la balance et les 5 tas de 5 lingots. Ils avaient beau chercher combien de lingots ils devaient mettre sur la balance, et quels lingots choisir, ils n’y arrivaient pas !

Soudain, Oriana s’exclama :
— Té, mounoir, ma trouve un naffèr trop puissant !!!

Jacques la regarda, surpris.
— Mais oui, Jacques ! Regarde, j’ai trouvé l’idée ! On doit prendre un nombre différent de lingots dans chaque coffre, comme ça on peut savoir dans quel coffre il y a des lingots moins lourds !
— Ah bon ? Tu es sûre ? demanda Jacques.
— Oui ! En fait, s’il manque 100 g, c’est qu’il y a 1 lingot faux. S’il manque 200 g, c’est qu’il y a 2 lingots faux. S’il manque 300 g...
— Kwé ? Mi kompren pa rien !!! s’énerva Jacques.
— Mais si ! Karima a dû prendre 1 lingot dans le premier coffre, 2 lingots dans le deuxième coffre, 3 dans le troisième, 4 dans le quatrième, et 5 dans le dernier ! Souviens-toi, il y avait 15 lingots sur la balance, c’est bien ça !

À ce moment-là, Oriana et Jacques furent interrompus dans leurs réflexions par Alicia Barazot :
— Excusez-moi ! Grâce au téléphone portable qu’on a retrouvé sur le père Kerveguen, on a vu que le père avait passé un appel à un certain « Alfred » après le départ d’Hervé, le deuxième fils. Boris et moi, on a interrogé les deux fils, ils nous ont dit qu’Alfred, c’était l’ami de leur père, vous savez, celui qui l’avait prévenu qu’il y avait un escroc parmi les cinq orfèvres !
— Il faut vite retrouver cet homme, Alicia ! dit Jacques.
— D’accord, on s’en charge !

Alicia partit immédiatement.

Oriana et Jacques voulaient résoudre cette enquête le plus vite possible et reprirent tout au début. Oriana rappela que le poids affiché sur la balance était de 14,9kg.
Et Jacques dit :
— Si tous les lingots étaient vrais, la balance devrait afficher 15 kg ! Et comme il manque 100 g, donc il y a un seul faux lingot.
Oriana prit le dossier de travail que la police scientifique avait fait sur la scène du crime :
— Regarde, en fait les 10 lingots restés sur la table étaient placés devant les 5 coffres. Il en restait 4 devant le premier coffre, 3 devant le deuxième, puis 2, puis 1, et zéro devant le dernier coffre !
— Tout s’explique ! dit Jacques. C’est dans le tas du premier orfèvre que la sœur a dû prendre un seul lingot ! C’est donc lui l’escroc, ça doit être lui le coupable ! —Mais comment a t-il su qu’il était démasqué ?
— En attendant de trouver la réponse, il faut qu’on demande aux fils Kerveguen quel est le bijoutier qui a déposé le premier coffre, et il faut qu’on le retrouve !
Oriana et Jacques allèrent demander de l’aide à leurs collègues.

Plus tard, Oriana et Jacques appelèrent les deux enfants Kerveguen et leur expliquèrent comment leur père et leur sœur avaient dû être tués !
— Bon, commença Oriana, Jacques et moi on pense que votre sœur avait trouvé la solution au problème des lingots, et que votre père a dû téléphoner à son ami Alfred pour lui dire qu’il savait maintenant qui était l’escroc : c’était le premier orfèvre !

Et comme on sait qu’Alfred, lui, connaissait l’escroc, il a dû le contacter et lui dire que Monsieur Kerveguen et sa fille avaient trouvé la solution et que maintenant il était démasqué !... Le faussaire a dû retourner à la maison Kerveguen, et alors que Karima et votre père prenaient un dernier verre, celui-ci a dû les tuer.
C’est alors que le téléphone sonna. Jacques répondit, avant d’annoncer à Oriana et aux deux frères :
— La patrouille que nous avons envoyée vient de me dire que le faussaire s’est enfui ! Mais où a t-il pu s’en aller ?!

À l’instant Alicia Barazot et Boris Potkol arrivèrent, avec le fameux Alfred. Oriana, d’un air souriant, plaisanta :
— Je pourrai l’interroger, on dit que ma beauté fait dire la vérité ! LOL !

Oriana partit seule avec Alfred. En salle d’interrogatoire la tension monta.

Peu après, Oriana revint et dit qu’Alfred lui avait tout avoué. Jaloux de Monsieur Kerveguen, il avait prévenu le faussaire qu’il était démasqué. Maintenant, il pensait que celui-ci, après avoir été interrogé par la police dans sa boutique, devait avoir pris peur et s’être réfugié chez sa mère à Mafate.

Quelques jours plus tard, les policiers retrouvèrent l’escroc à Mafate et le placèrent en garde à vue. Ils retrouvèrent aussi l’arme qui avait servi à tuer les deux victimes, elle portait les empreintes de l’escroc.

Le jour de son procès, le faussaire expliqua la raison de son double crime en disant qu’il avait agi par colère et jalousie, qu’il avait la rage, que c’était plus fort que lui. Le juge le condamna à la prison à perpétuité. L’escroc pleura, cria, et tenta de s’échapper, mais les policiers de surveillance l’en empêchèrent et le mirent en prison.

Les deux fils Kerveguen partirent au cimetière pour se recueillir sur la tombe de leur père et de leur soeur. Ils leur dirent :
Vous pouvez reposer en paix car l’escroc va « pourrir en tôle ».
Et ils rentrèrent chez eux tristes mais le coeur léger.

Contexte

Enseignantes dans un collège labellisé ECLAIR (Éducation prioritaire) de Saint-Pierre, l’une en français, l’autre en mathématiques, nous avons repris en 5e la classe de 6e qui avait produit les contes mathématiques avec nous (avec quelques nouveaux élèves). Nous avons continué à travailler dans le cadre des sept compétences que l’ensemble de l’équipe pédagogique pratique avec les élèves :

connaître – s’informer – raisonner – réaliser — communiquer – s’investir – vivre ensemble

Comme l’année passée, chaque vendredi après-midi nous avons co-animé une heure de « français-maths » avec les élèves de 5e ; c’était une classe de niveau faible dans l’ensemble, mais vraiment hétérogène (à notre demande).

Et cette année, deux collègues, en anglais et SVT, nous ont proposé de travailler avec nous sur l’élaboration des énigmes policières. Plus on est de fous, plus on s’amuse...

Problématique

Le choix d’associer la résolution de problèmes mathématiques au genre de l’énigme policière est venu d’abord d’un constat assez évident : le parallélisme qu’il y a entre la démarche de résolution d’une enquête policière (telle qu’elle peut être menée au long d’une nouvelle fictive) et celle de résolution de problème en mathématiques, démarche qui est au cœur de notre cours de « français-maths ».

D’autre part, c’est un genre de récit susceptible de plaire à nos élèves (souvent peu enclins à la lecture), car il ménage de l’action et du suspense, et situe l’intrigue dans la réalité actuelle. On peut donc facilement l’ancrer dans l’univers naturel et culturel des adolescents.

Cependant, il n’y a a priori pas de crime ou autre méfait dans les problèmes de maths !... Si l’on suppose qu’une énigme mathématique doit pouvoir être le ressort d’une enquête policière, comment l’une et l’autre peuvent-elles s’articuler ?

Le problème auquel nous avons été tout de suite confrontées a été celui du choix du modèle d’intrigue policière le plus adapté pour dérouler de façon intéressante les étapes de la résolution mathématique.

Parallèlement, au fil des semaines de cours, nous avons cherché quel type de problème mathématique était le plus susceptible de s’adapter aux contraintes narratives du genre policier. Et nous avons, en interdisciplinarité, imaginé de multiples activités pour aller au bout de ce projet annuel, une aventure pédagogique qui s’est terminée par l’écriture de deux nouvelles policières, « Les lingots meurtriers » et « Danger à La Pointe du Diable », et la réalisation d’un film sur cette dernière nouvelle.

Quel genre d’énigme policière ?

Contrairement au conte, le genre du « polar » s’ancre dans la réalité actuelle, tout doit être vraisemblable, et cela engendre une narration plus complexe : il s’agit de créer des effets de réel, et de réussir à motiver l’irruption du problème mathématique dans la narration de l’enquête policière. Pas question de baguette magique !

Le plus simple est d’abord d’imaginer une enquête qui commence par l’exposé d’un problème mathématique à résoudre : un individu (« cinglé de maths » ?) donne à des policiers une énigme mathématique ; s’ils ne réussissent pas à la résoudre dans un temps donné, un malheur arrivera. Donc, le coupable pose le problème, sous la forme d’un défi, et la narration suit les étapes de la résolution du problème par les enquêteurs. Ce type de construction narrative crée du suspense, le criminel peut livrer aux enquêteurs des données et des indices au fur et à mesure de l’histoire.

On peut également envisager qu’un personnage résolve un problème mathématique qu’on lui a donné, et que cela fait de lui la victime d’un tueur. Pour réussir à comprendre ce qui s’est passé et à retrouver le coupable, les enquêteurs doivent eux-mêmes résoudre le problème déjà résolu par la victime. Les étapes de la résolution par les policiers constituent donc l’armature du récit ; cependant, elles sont rendues possibles par les retours en arrière sur les circonstances du crime. Il y a alors deux fils narratifs, la temporalité est plus complexe.

Dans les deux cas les enquêteurs résolvent un problème mathématique : ils prennent des informations, font des liens entre ce qu’ils savent et les indices qu’ils trouvent, proposent des hypothèses, les testent, les réajustent, reprennent leurs essais, et concluent en expliquant leur raisonnement. Et cela leur est nécessaire pour avancer dans la résolution de leur enquête policière : ils trouveront le coupable si et seulement s’ils résolvent le problème mathématique posé.

Mais comment choisir les problèmes mathématiques qui puissent logiquement servir de ressort aux deux types de modèles d’intrigue exposés ?

Les problèmes et les démarches mathématiques retenus

Nous avons procédé de façon assez empirique au départ, proposant aux élèves, en cours de « français-maths », divers problèmes à résoudre, accompagnés de narrations de recherches. C’est à l’occasion d’un problème portant sur 4 horloges (voir document), dont l’une est arrêtée (on doit chercher laquelle est à l’heure), que nous avons pris conscience qu’on ne pouvait pas utiliser dans l’histoire un problème de ce type : une enquête se déroulant dans le temps, les personnages remarquent très vite quelle horloge est arrêtée !… nous n’y avions pas songé avant...

De façon plus générale, le problème doit pouvoir s’ancrer dans la durée, le temps de l’action et de la réflexion. Sa résolution doit être une suite d’hypothèses, que les enquêteurs valideront ou non, faisant ainsi progresser le récit vers sa propre résolution narrative. Et les hypothèses faites par les enquêteurs sont celles que les élèves eux-mêmes ont émises lorsqu’ils ont résolu le problème ; les narrations de recherches servent de base pour la trame des récits policiers.

Ainsi, au fil des heures de projet, nous avons abordé différentes situations mathématiques, qui faisaient toutes appel au raisonnement et à la compréhension des indices. Pour chaque problème présenté, les enfants faisaient une narration de recherche permettant de clarifier leurs essais. Nous avons synthétisé leurs hypothèses pour les utiliser dans les deux récits envisagés (chaque moitié de la classe devant se charger de la rédaction de l’une des deux nouvelles).

Nous avons donc finalement choisi deux problèmes : celui des « lingots d’or »
celui des « 5 carrés » (Kapla) :

Les lingots d’or
énoncé du problème
Les 5 carrés
énoncé du problème

Notre choix a été doublement motivé :

  • D’une part, parce que ces deux problèmes avaient donné lieu à un travail de réflexion riche et à des narrations de recherches plutôt bien menées, logiques et précises (même si nous avons dû aiguiller les élèves dans la résolution du problème des lingots, un peu trop difficile pour eux).
  • D’autre part, parce que nous avons « testé » nous-mêmes la possibilité d’une intrigue policière fondée sur chacun de ces problèmes, et que cela nous a paru tout à fait envisageable... mais très complexe !

Nous avons vite pris conscience que les élèves ne pourraient pas bâtir seuls la trame, qu’il y a avait trop d’éléments contraignants à prendre en considération, et que nous devrions les guider dans leur réflexion et leurs choix narratifs. À nous de les aider à percevoir les problèmes de construction de l’intrigue qui se posaient, et à eux de trouver des solutions vraisemblables, logiques et intéressantes.

Par exemple, si le problème des lingots d’or (désirables objets !) semble pouvoir facilement s’ancrer dans une enquête policière, comment justifier le fait que les personnages n’aient droit qu’à une seule pesée ? Certes, la contrainte fait tout l’intérêt du problème d’un point de vue mathématique, mais concrètement, comment l’insérer dans une histoire qui a aussi pour contrainte littéraire la vraisemblance ?

Quant à l’énigme des 5 carrés, que peuvent-ils bien représenter ? Que peuvent être les « Kapla » ? Peuvent-ils être transformés et agrandis en ouvrages comme les clôtures, ponts, routes, cloisons (…), dont on imaginerait le nécessaire déplacement ?

Ces difficultés et toutes les autres ont peu à peu été surmontées par les élèves, avec notre aide. Le travail de résolution de problème s’est donc doublé d’un travail d’imagination et de réflexion pour élaborer une vraie cohérence narrative. Et ce travail a pris toute son ampleur au fil des mois, des cours divers, des sorties, et de la perspective de réaliser un film...

Un projet interdisciplinaire... qui a duré toute l’année scolaire

En cours de français, les élèves ont travaillé sur le genre policier — qui fait également l’objet de recherches au CDI, avec la documentaliste. Notre collègue d’anglais a pu aborder avec les élèves le vocabulaire correspondant ; elle nous a aussi proposé une visite culturelle du centre de Saint-Pierre (en novembre), qui, en plus d’être le support d’activités en anglais, a donné aux élèves des premiers repères historiques et géographiques pour le choix des lieux dans leurs récits (nous voulions que l’action se situe dans leur ville) et pour l’élaboration des intrigues.

Par contre, alors que nous souhaitions au départ que les élèves créent, en plus des personnages réunionnais, des personnages anglophones, cela s’est finalement avéré trop difficile, nous avons manqué de temps, et avons finalement abandonné l’idée d’introduire des dialogues en anglais dans les énigmes.

Le travail avec notre collègue de SVT a pu être plus fructueux. Parmi les deux sorties d’étude des paysages, celle à La Pointe du Diable, en décembre (un site géologique exceptionnel, et que nos élèves connaissent car il jouxte le quartier) a été particulièrement riche. Les élèves ont mis en oeuvre une démarche scientifique pour comprendre la formation et les propriétés des roches du site ; plus tard, l’idée a émergé que La Pointe du Diable pourrait être le lieu où un fou cacherait une bombe ; puis, le paysage est devenu un véritable actant : la nature des sols détermine l’endroit précis de la bombe !

Cette sortie nous a aussi permis de résoudre le problème de la transformation des « Kapla » dans l’énigme des 5 carrés : les élèves eux-mêmes ont pensé qu’on pouvait travailler sur une carte géographique ; de là le choix des allumettes pour former les carrés, symbolisant un découpage de l’espace dont la compréhension sera essentielle pour la résolution de l’énigme. Cela est certes une solution quelque peu artificielle, mais nous avons beau y avoir réfléchi, nous n’avons trouvé aucune solution vraisemblable avec des routes ou autres cloisons...

Site de La Pointe du Diable

La dernière sortie a été la visite du commissariat de Saint Pierre, en mars, alors que les élèves avaient déjà avancé dans l’élaboration de la trame, et qu’ils avaient besoin de connaissances sur la manière dont on conduit une véritable enquête policière, afin de préciser les étapes de leurs récits.

Visite du commissariat

Ces différentes sorties, très appréciées des élèves, leur ont permis de découvrir leur patrimoine naturel et culturel, tout en se créant des images mentales de paysages, supports pour l’écriture, et en choisissant divers éléments intégrés peu à peu à l’intrigue. Notons que l’ensemble des références historiques, géographiques et géologiques qui apparaissent dans les récits sont véridiques... y compris l’existence des grottes et des panneaux d’information sur le site de la Pointe du Diable !

Nous avons donc beaucoup tâtonné dans la mise en place de ce projet, long, complexe, parsemé de découvertes et d’obstacles à surmonter... jusqu’à l’écriture et la réalisation du film. Reste à proposer un bilan qualitatif de cette aventure.

BILAN (à apprécier de préférence après la lecture des récits et/ou le visionnage du film...

Le bilan à destination des profs de maths

Les élèves se sont approprié les problèmes mathématiques et ont renforcé leurs compétences en résolution de problème.

Dans l’écriture des énigmes, ils ont dû être vigilants pour que l’énigme mathématique soit clairement mise en valeur : les enquêteurs s’appuyaient surtout sur leur raisonnement et non pas sur les indices matériels.

Tous les élèves ont dû s’approprier le fil du raisonnement des problèmes afin que lors de la construction de la trame, les parties s’enchaînent sans redondance tout en permettant au lecteur de suivre le fil des réflexions des inspecteurs. Ce travail d’écriture leur a demandé un recul qu’ils n’auraient certainement pas pris si nous nous étions arrêtés à la résolution du problème mathématique.

Toute l’année ils se sont retrouvés face à des tâches complexes : c’était à eux de mettre en place des stratégies pour résoudre puis pour écrire les énigmes. Cette approche pédagogique nous a permis de différencier : tous ont contribué, en fonction de leurs capacités, à la réalisation d’une histoire policière mathématique.

… et tout le reste est littérature

La trame des nouvelles a été élaborée collectivement, à l’oral, deux groupes de 5 ou 6 élèves se partageant l’essentiel du travail pour chacun des deux récits. Cette élaboration collective, longue et parfois ardue, semble néanmoins indispensable pour construire une narration cohérente, s’appuyant sur les idées des uns et des autres. Cela permet de valoriser tous les élèves en difficulté à l’écrit mais créatifs à l’oral ; cela permet également de faire prendre conscience à tous de la nécessaire structuration du récit, et de donner des clés pour la bâtir.

La résolution du problème mathématique contraint la logique narrative et permet de se confronter à des problèmes littéraires. Un exemple : pour Danger à La Pointe du Diable, la résolution du problème des carrés par les deux enquêteurs permet de localiser la bombe, donc de la désamorcer et d’écarter le danger ; cependant, elle ne permet pas de retrouver le coupable ! -– du moins n’avons-nous pas trouvé de solution satisfaisante, c’est-à-dire cohérente et vraisemblable. Or cela est nécessaire à la clôture du récit. Comment faire ?

Un élève a proposé d’introduire dans le récit un témoin (personnage typique du polar), repérant le coupable sur le site de la bombe et permettant son arrestation. Cette idée a finalement engendré la création d’un deuxième fil narratif, et un récit où alternent (comme dans le film réalisé après) les deux fils constitutifs de l’histoire : celui qui se passe dans le commissariat (où l’on résout le problème des allumettes), et celui qui se déroule à La Pointe du Diable, où l’on écarte le danger et où l’on retrouve le criminel. Cette alternance (courante dans le polar) a pour avantage de créer du suspense, une vraie tension – même si l’apparition de ce suspense nécessite aussi une maîtrise stylistique qui n’est pas évidente !

Dans Les lingots meurtriers, les deux fils narratifs principaux sont d’une part celui qui concerne la scène de la pesée suivie du crime, d’autre part celle de l’enquête. La cohérence narrative est plus forte que dans le récit précédent, puisque c’est la résolution du problème mathématique qui permet l’identification du coupable ; cependant, l’intrigue implique une construction non-chronologique, avec de nombreux retours en arrière permettant d’élucider ce qui s’est passé. Or cette construction nécessite des capacités d’abstraction qui se sont révélées hors de portée pour trop d’élèves, et cela a entraîné un guidage trop important de notre part.

Lorsque la trame de chaque récit s’est révélée suffisamment cohérente et précise, nous avons donné à chaque élève, en fonction de ses désirs et de ses capacités, une partie à rédiger. Cette étape est difficile pour beaucoup, mais elle permet elle aussi une véritable différenciation : on adapte son niveau d’exigence à chacun, dans un temps donné (quelques séances sont consacrées à la rédaction, toujours intercalées de conseils personnalisés). Passer d’une trame à une histoire rédigée, vivante et touffue, encore une tâche très formatrice pour les élèves.

Nous avons donc abouti à deux énigmes policières qui nous semblent globalement cohérentes et vraisemblables. Certes, l’insertion des problèmes mathématiques est à chaque fois motivée par la folie d’un « cinglé de maths », — la folie qui remplace le merveilleux des contes mathématiques... Mais la folie n’est-elle pas aussi un topos du polar, un attribut récurrent de ses personnages ?

Un tout dernier mot !

Une fois les énigmes écrites par les élèves, nous avons collaboré avec un intervenant artistique (Roland Germser, La Compagnie du Soi) pour mettre en scène et filmer une des deux énigmes. Au vu du temps et de nos moyens, nous n’avons réalisé qu’un seul film, Danger à La Pointe du Diable, d’après le récit s’appuyant sur le problème des 5 carrés. Les élèves ont évidemment beaucoup aimé cette phase du travail (15 heures de tournage pour 15 minutes de film), ainsi que le résultat final, dont nous apprécions beaucoup l’humour...

Tous les élèves se sont donc impliqués dans ce projet de longue haleine, qui leur a permis de faire des liens entre les différentes matières, de se lancer dans une démarche de réflexion et de création exigeante, mais suffisamment motivante et concrète.

Ce nouveau projet s’inscrit donc pleinement, tout comme celui des contes mathématiques, dans l’esprit du socle commun : à notre sens, il permet de donner du sens aux apprentissages et de prendre en compte la diversité des élèves. Chacun peut prendre confiance et progresser.


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