Des élections présidentielles sans scrutin uninominal ?

Expériences de choix social à l’occasion des présidentielles de 2017
mardi 25 avril 2017
par  Alain BUSSER , Florian TOBÉ , Olivier SICARD

Depuis Kenneth Arrow, précurseur de la Théorie du Choix Social moderne, des travaux dans cette discipline ont eu tendance à montrer que le vote uninominal semble être une méthode d’agrégation des préférences individuelles bien moins démocratique qu’elle n’y parait. Dès lors d’autres façons de voter ont vues le jour et nous vous en présentons ici trois d’entre elles parmi les plus prometteuses.
Nous les avons toutes les trois expérimentées sur le même échantillon :

    • la méthode Borda qui demande de classer les 11 candidats (donc de les connaître !) ;
    • le vote trichotomique qui règle le problème des candidats inconnus à qui on peut décerner une note nulle ;
    • le vote 5-chotomique, plus fin que le vote trichotomique, parce qu’il permet de montrer une préférence parmi les préférés.

Le vote

Ces techniques de vote se prêtent bien à l’usage du vote électronique. Par exemple, le vote Borda demande à chaque électeur de classer dans l’ordre de préférence les 11 candidats. Un « bulletin de vote » n’est donc plus un classique bout de papier avec un nom, mais plutôt un jeu de cartes, chacune portant le nom d’un candidat, et voter, c’est classer ces cartes. Voici un exemple en ligne : Pour voter, on glisse les cartes l’une après l’autre dans la zone intitulée « classement ». Une fois que les 11 cartes sont dans cette zone, apparaît un bouton de validation du vote, à cliquer après avoir vérifié (et le cas échéant, reclassé) le vote. Le code source de ce fichier est ici. On voit dans le fichier main.coffee qu’une fois les cartes classées, le résultat est soumis à un formulaire Google comprenant une matrice de permutation (1 seul élément non nul par ligne et par colonne). Voici un morceau de cette matrice (sans case cochée encore) :

En fait il était aussi possible de saisir le vote directement dans le formulaire Google, ce qui prenait 11 clics. Mais si on clique deux cases situées dans la même colonne (ce qui revient à donner la même note à deux candidats), message d’erreur apparaît en bas de la matrice, et on ne peut pas valider le vote :

Que ce soit avec les cartes à ranger ou les cases à cocher, une fois qu’on sait dans quel ordre mettre les candidats du milieu, le vote dure moins d’une minute. Le formulaire Google a été couplé avec une page tableur de Google, et cette page s’est automatiquement remplie avec les résultats des votes. C’est donc au sein de cette page tableur que ce fera le dépouillement (voir plus bas).

Pour le vote 5-chotomique, plutôt qu’une matrice 11×11 pour tous les candidats comme ci-dessus, on a choisi une échelle de note par candidat :

Il faut donc une trentaine de secondes pour un vote complet. Par contre, les formulaires de Google sont prévus pour donner des notes positives et pour faire un « vrai » vote 5-chotomique il va falloir décaler l’échelle de note pour qu’au lieu d’aller de 0 à 4, elles aillent de -2 à 2.

Pour le vote trichotomique, il y a un moyen de ne pas faire directement allusion à l’idée de note chiffrée pour chaque candidat, avec la correspondance ci-dessous inspirée des réseaux sociaux :

  • Pour donner la note -1 (négative) à un candidat, on le « signale » ;
  • Pour lui donner par contre la note 1, on le « like »
  • Et bien entendu, on peut ne lui donner aucune de ces deux notes, auquel cas on lui donne la note 0

Voici l’aspect du bulletin de vote trichotomique :

Les notes étant non numériques, il faudra, pour le dépouillement, les convertir en nombres, comme on le verra plus bas.

Premier (re)tour

Les résultats partiels sont affichés aux électeurs dès la fin de leur vote, sous forme de diagrammes statistiques.

Pour Borda :

Pour le vote 5-chotomique :

Pour le vote trichotomique :

Noter que ce diagramme est interactif, puisqu’il affiche une bulle d’aide sur le secteur circulaire survolé par la souris. Cette fonctionnalité est utile à l’apprentissage des diagrammes statistiques au collège.

Pour chaque méthode de vote, la même méthode d’agrégation est appliquée :

On additionne, pour chaque candidat, les notes que lui ont données les électeurs. Est déclaré élu, le candidat qui a la plus grande note globale.

Le dépouillement avec le tableur est donc relativement aisé.

Trichotomique

Pour le vote trichotomique, puisque nous avons choisi de ne pas faire voter numériquement, on doit traduire en notes les votes textuels. Comme additionner 0 ne change pas plus une somme que de ne rien additionner, on n’a pas besoin de compter (avec « countif ») les notes nulles ; et comme les « signale » sont comptés négativement, l’addition revient à soustraire le nombre de « signale » au nombre de « like » :

La formule à entrer dans la cellule B125 est donc la suivante :

=countif(B3:B118;"Je like")-countif(B3:B118;"Je signale")

Puisque 27 personnes ont « liké » Nathalie Arthaud, et que 27 autres personnes l’ont « signalée », elle totalise un score nul.

En recopiant cette formule dans les autres colonnes, on obtient les résultats du vote trichotomique :

Plus important que le vainqueur de ce vote trichotomique, ce diagramme nous apporte une information cruciale sur la psychologie de l’électorat qu’un vote uninominal aurait masqué : La plupart des candidats ont des notes négatives, donc d’une manière générale les candidats ne sont pas aimés par leurs électeurs !

Borda

Pour le vote Borda, la feuille de tableur ressemble à ceci (on voit notamment qu’il est difficile de lire les nom des candidats, qui sont des entrées d’un tableau) :

Pour connaître la note de Nathalie Arthaud, on entre en B70 la formule du Chevalier de Borda :

=sum(B3:B64)

Le score de Nathalie Arthaud est, d’après le tableur, égal à 337 :

Il suffit de recopier cette formule vers la droite pour obtenir les scores des autres candidats. Celui qui a été élu par cet échantillon est celui des 11 qui a le plus haut score de Borda. La suite de l’exercice consiste à trouver lequel parmi 11 nombres est le plus grand, puis à regarder lequel des candidats a eu ce score. Ce qui peut être fait en cycle 3 voire en cycle 2.

Le tableur propose un choix de graphiques impressionnant, notamment le diagramme en bâtons qui permet de voir au premier coup d’œil que le gagnant est l’avant-dernier candidat dans l’ordre alphabétique :

Le diagramme circulaire aussi permet de voir qui a la plus grande part du gâteau (mais il ne faut pas être daltonien pour voir que c’est l’avant-dernier dans l’ordre alphabétique) :

5-chotomique

Le dépouillement du vote 5-chotomique est similaire, mais l’affichage des noms des candidats permet de mieux voir les résultats :

Uninominal

On peut simuler un scrutin uninominal à deux tours avec les votes Borda :

  • En ne regardant que les notes 11, on sait pour qui a voté chaque électeur au premier tour ;
  • L’expression des préférences entre les candidats du second tour permet de deviner comment sont reportées les voix entre les deux tours : Par exemple, les électeurs de Nicolas Dupont-Aignan ayant dit qui ils préféraient parmi les 10 autres candidats, n’ont pas besoin de revoter puisqu’on sait déjà qui ils préfèrent parmi les candidats du second tour (en admettant qu’ils ne changent pas d’avis entre les deux tours).

Avec l’échantillon sur lequel a porté l’étude, les candidats qualifiés pour le second tour sont Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon :

Pour savoir comment tout le monde vote au second tour, on va comptabiliser les votes de chacun des deux candidats, en ajoutant 2 colonnes au tableur, l’une pour chacun des candidats. Par exemple pour Benoît Hamon, un vote sera comptabilisé

  • chaque fois qu’un 11 figure dans la colonne G (on admet que ceux qui ont voté Hamon au premier tour revoteront Hamon au second tour)
  • chaque fois qu’un 11 ne figure ni dans la colonne G ni dans la colonne K (sinon le vote est reporté depuis le premier tour), et qu’en plus la valeur de cette ligne à la colonne G dépasse celle à la colonne colonne K (l’électeur préfère Hamon à Mélenchon)

Pour savoir si l’électeur vote pour Hamon, on écrit la formule suivante dans le tableur :

=OR(G2=11;AND(G2<11;K2<11;G2>K2))

Et pour savoir s’il vote pour Mélenchon :

=OR(K2=11;AND(G2<11;K2<11;G2<K2))

Normalement, une et une seule des deux formules doit donner TRUE !

Ensuite, countif permet de compter les votes « pour » de chaque candidat ; et c’est le même candidat qui gagne à tous les modes de scrutin :

Pour conclure cette expérience :

L’échantillon n’étant guère représentatif de l’électorat français, il est difficile de comparer nos méthodes de votes virtuelles avec les résultats du vote réel.
Cependant, puisque nos trois méthodes de vote donnent quasiment les mêmes résultats, on peut en conclure que la première place de Mélenchon est un résultat robuste par rapport aux trois méthodes de vote.

D’autre part :

  • le vote trichotomique avantage Poutou par rapport à Hamon, alors que les autres méthodes de votes ont l’effet inverse.
  • Le vote trichotomique pourrait donner lieu à d’autres méthodes d’agrégation que l’algorithme de Borda ( la sommation). Une proposition est de sanctionner les candidats les plus « signalés » (par exemple en leur interdisant de se présenter à une élection, le temps de se faire oublier) et ainsi minimiser la tendance qu’ont les électeurs à voter pour un candidat uniquement parce qu’il est connu, même si c’est pour de mauvaises raisons.
  • L’expérience a au moins permis de comparer les manières de voter, et la facilité à voter ; là, la méthode trichotomique, qui est une sorte de referendum amélioré, se place nettement en tête de la méta-élection, à en juger par le nombre de personnes ayant participé à ce vote ; à l’inverse, Borda est vu comme une méthode compliquée.
  • Au second tour des élections présidentielles de 2017, le taux d’abstention a été d’environ 25% ; si on ajoute les bulletins blancs ou nuls, on conclut que le vote n’a pas été massif. La difficulté à ordonner 11 candidats pour le vote Borda, aurait pu agraver la situation, le nombre de votes nuls ayant risqué d’être élevé (que faire d’un bulletin comportant moins de 11 noms ?)

L’élection présidentielle a été l’objet d’un intéressant paradoxe : Trois des candidats [1] du premier tour appelaient à « la reconnaissance du vote blanc » : Les habitués du vote blanc ont-ils voté pour un de ces candidats, ou blanc ?


[1Benoît Hamon ; Jean Lassalle ; Jean-Luc Mélenchon


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