Le mathématicien George Polya s’est illustré dans plusieurs domaines des mathématiques, mais l’un d’entre eux est les probabilités, ce qui a amené Polya à des recherches sur le raisonnement plausible. Polya a modélisé (par les probabilités) le raisonnement inductif. Celui-ci est de peu d’utilité dans les démonstrations mathématiques, comme l’illustre l’exemple de Fermat :
- 21 + 1 est premier
- 22 + 1 est premier
- 24 + 1 est premier
- 28 + 1 est premier
- 216 + 1 est premier
- donc 232 + 1 est premier.
Ce raisonnement n’a pas valeur de preuve, d’autant que 232 + 1 est divisible par 641. Il est par contre utile lorsqu’il s’agit de chercher. L’art de chercher est appelé par Polya heuristique (le fameux eureka d’Archimède : avant de trouver, on cherche). Le livre How to solve it de Polya est la conséquence d’un enseignement basé sur l’heuristique et la résolution de problèmes. Il promeut l’utilisation de la résolution de problèmes (pour initier à la recherche) dans l’enseignement des maths, et débute par :
Les futurs enseignants passent par l’école pour apprendre à détester les maths.
Puis ils reviennent à l’école, pour apprendre à une nouvelle génération, à détester les maths.
Pour y remédier, Polya propose un enseignement des mathématiques basé sur la résolution de problèmes. Cette idée a d’ailleurs été reprise par des didacticiens de l’île des tigres. Cependant, Polya n’évoque guère les outils uniques comme la fausse position ou la schématisation en barres. Au contraire il s’intéresse plus à une forme de méta-heuristique où le choix de l’outil fait partie du processus de résolution. Polya distingue deux sortes de problèmes :
- les problèmes où il faut prouver
- les problèmes où il faut trouver
Les problèmes où il faut prouver sont assimilables à la recherche d’un chemin dans un graphe, connaissant son départ (les données) et son arrivée. Ces problèmes de logique, faisant appel à des techniques telles le chaînage arrière, sont peu pratiqués en école élémentaire. Par exemple en CE 2 à la rentrée 2025 on propose comme critère de réussite qu’un élève sache dire que « Ce n’est pas un carré car l’un de ses angles n’est pas un angle droit. Or un carré a ses quatre angles qui sont des angles droits. » (ce qui suppose qu’en CE 2 on sache effectuer un raisonnement par l’absurde mais aussi que les carrés sont des rectangles). On se concentrera donc ci-après sur les problèmes où il faut trouver, dans lesquels il ne faut pas seulement trouver un chemin dans un graphe, mais aussi établir s’il en existe au moins un !
Remarque : phonétiquement, le mot heuristique évoque des mots comme errer, erreur… or en latin, errare signifie se promener (ou chercher !). Et l’algorithme de rétropropagation du gradient nous apprend que la vitesse d’apprentissage est proportionnelle au nombre d’erreurs d’apprentissage. De fait, un facteur bloquant pour la recherche de solution à un problème, est la gestion trop négative du statut de l’erreur.
Voici un exemple de mise en œuvre de la méthode de Polya, sur un problème soumis en CM 2 :
Ce problème, de type certificat d’études, est supposé résolu par la fausse position. Le plan de Polya s’articule en 4 parties :
1) Comprendre le problème
- Quelle est l’inconnue ? Il y en a deux : le nombre de passagers en 1e classe, et le nombre de passagers en 2e classe.
- Quelles sont les données ? Il y en a trois (en euros) : le prix d’un billet de 1e classe, le prix d’un billet de 2e classe, et la recette totale.
- Quelle est la condition ? Il y a en tout 145 passagers donc 145 billets toutes classes confondues) vendus.
2) Faire un plan
- Connais-tu un problème similaire ? Une AI comme Mistral (voir ci-dessous) ou un collégien de bon niveau reconnaît un problème du premier degré.
- Regarde l’inconnue ! Il y en a deux, mais surtout, ce sont des entiers inférieurs à 145 : il n’y a que 144 essais à faire pour trouver la solution.
- Voici un problème que tu as déjà résolu avant, et qui ressemble à celui-ci. Par exemple celui-ci, vu en CM 1 :
Un fermier a vendu 26 moutons, les uns
à 112 €, les autres
à 140 €. Il a reçu en tout 3 192 €. Combien avait-il de moutons de chaque sorte ?
- Peux-tu reformuler le problème ? Par exemple en le racontant en vidéo comme ci-dessus…
- Retourne aux définitions (à condition de les connaître : Polya n’a jamais préconisé l’usage exclusif de la manipulation, de la classe inversée ou de la pédagogie explicite : des connaissances sont nécessaires pour résoudre des problèmes).
3) Appliquer le plan
Vérifie chaque étape. Peux-tu prouver que chaque étape est correcte ?
On peut essayer (collectivement de préférence) toutes les possibilités : on choisit un nombre de passagers de première classe, on en déduit le nombre de passagers de seconde classe et on vérifie si, pour ces données, la recette totale est bien 39800 € (il a fallu grouper les élèves en îlots et rappeler la définition du mot recette). Le résultat, simulé en Python, est celui-ci :
for p1 in range(145):
for p2 in range(145):
if p1+p2==145 and 320*p1+260*p2==39800:
print(p1,"passagers de première classe")
print(p2,"passagers de seconde classe")
4) Généraliser
Lorsqu’on a (enfin) fini de résoudre un problème, on arrive à un point qui semble final, mais que Polya considère plutôt comme initial :
- Peux-tu vérifier le résultat ? En effectuant (avec l’abaque de Gerbert par exemple) les multiplications 320×35 et 260×110 puis l’addition 11200+28600 on trouve bien 39800.
- Peux-tu prouver le résultat ?
- Peux-tu retrouver le résultat différemment ? quand on sait qu’il y a 35 passagers de première classe, on a plus de facilité à réinventer la méthode de fausse position : résoudre un problème, c’est être en position d’en résoudre plus facilement d’autres :
- Peux-tu utiliser la solution, ou la méthode, pour résoudre d’autres problèmes ? On en revient au début, où il était conseillé de chercher un autre problème, similaire à celui-ci, et déjà résolu.
Noter que, sur ce problème, des élèves de CM 2 ont fait (collectivement) mieux qu’une IA générative (Mistral) dont la méthode de résolution est bonne , mais ayant fait une erreur de calcul :
Le problème des moutons a été posé en CM 1 (là aussi avec l’abaque de Gerbert). En voici le compte-rendu :
Voici une proposition pour résoudre ce problème avec la fausse position (qui n’est pas le choix, rappelons-le, de Polya) :
Supposons dans un premier temps qu’il n’y ait que des moutons à 112€. Il y a donc 26 moutons (le total) à 112€, et la recette totale serait alors 26×112€ = 2912 . C’est moins que 3192€ (on s’en doutait un peu). Il manque 3192€ – 2912€ = 280€..
On propose alors de remplacer un mouton à 112€ par un mouton à 140€ jusqu’à ce que la recette soit de 3192€. Chaque échange a pour effet d’augmenter la recette de 140€-112€ = 28€.
La question est donc de savoir combien de fois on peut caser 28€ dans 280€ (il s’agit d’une division quotition). On trouve 280€/28€ = 10 : il y a 10 moutons à 140€, donc 26 moutons – 10 moutons = 16 moutons à 112€.
La fausse position est parfois qualifiée d’algèbre du pauvre (on n’a pas besoin de x et y pour résoudre le problème). Comme on l’a vu ci-avant, les IA préfèrent l’algèbre (du riche), mais tendent à se tromper dans les calculs, comme on peut le voir avec le problème 52 d’Alcuin.
Les unités
Polya donne des dizaines d’exemples dans son livre, voici un exemple d’exemple : l’analyse dimensionnelle :
Raisonner sur les unités aide à détecter des erreurs de calcul, mais aussi à deviner la forme du résultat (et à se souvenir des formules de géométrie), à mieux apprendre les fractions, les décimaux et le calcul formel…
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